Dépistage de la maladie coronaire par épreuve d’effort – partie 3 : maladie coronaire chronique et situations diverses

Dans ce billet, je me penche sur le cas des patients présentant une maladie coronaire chronique stabilisée. Il s’agit de patients asymptomatiques, ou ayant un angor (ou équivalent d’angor, telle qu’une dyspnée d’effort) stable et non évolutif. Il va sans dire que la réflexion n’est pas la même s’il existe une évolutivité des symptomes et notamment une aggravation de l’angor, et ce point fera l’objet d’un billet dédié mis en ligne ultérieurement dans le cadre de cette série.

Par soucis de simplification, je fais dans tout le billet un raccourci sémantique, en considérant que la positivité de l’EE est nécessairement le reflet d’une ischémie myocardique. Si vous avez lu le premier billet de cette série, vous savez que ce n’est pas le cas, et c’est évidement un écueil supplémentaire.

Maladie coronaire chronique stable

L’intérêt d’un examen est de permettre de modifier la prise en charge ; soit que l’examen/test positif entraine un incrément thérapeutique, soit que l’examen/test négatif permet la désescalade thérapeutique. Le traitement pharmacologique de la maladie coronaire chronique repose, outre la maitrise de l’hypertension artérielle et du diabète, sur un traitement anti-agrégant (monothérapie par aspirine au long cours – même si la place centrale de l’aspirine dans cette indication pourrait évoluer dans le futur – ou bithérapie plus ou moins longue au décours d’un évènement aigu) et un traitement par statine avec pour objectif une baisse substantielle du LDL-cholestérol. Ce traitement ne dépend en rien du résultat d’un test d’ischémie : un patient coronarien nécessitera une bithérapie aspirine+statine même en l’absence d’ischémie.

Qu’apporterait la recherche d’ischémie par EE (ou par tout autre moyen) chez un patient coronarien sans évolutivité symptomatique ? En cas de test négatif, aucun changement thérapeutique puisque le traitement par aspirine et statine ne va pas être interrompu pour autant. Si le test revient positif et laisse à penser qu’il y a une ischémie - de fait donc, asymptomatique – il ne devrait pas déboucher sur des modifications thérapeutiques. En effet, l’ischémie n’est qu’un marqueur de la maladie coronaire (maladie coronaire déjà prise en charge dans le cas qui nous occupe) et n’est pas responsable des évènements cliniques. Ainsi, dans le registre CLARIFY, l’ischémie silencieuse n’était pas associée au pronostic, tout comme dans MASS II ou dans ISCHEMIA (par contre la sévérité de l’atteinte coronaire était associée au risque d’évènements). Même en cas d’ischémie asymptomatique, Il n’y aurait aucune indication à une revascularisation puisqu’on sait depuis RITA-2 en 1997 (confirmé par la suite par COURAGE, ISCHEMIA, BARI-2D, etc.) que le bénéfice de la stratégie invasive systématique ne porte que sur la réduction de l’angor (qu’il n’y a donc pas), et non sur les évènements cliniques. Chez un patient asymptomatique, l’angioplastie n’apporte donc rien. Il n’y aurait pas plus d’indication à une modification du traitement anti-angineux, puisque le patient est asymptomatique. La réflexion est tout autant valable pour un patient « faussement » asymptomatique (asymptomatique parce qu’il ne fait pas d’effort suffisant pour déclencher une ischémie myocardique) : s’il n’y pas d’ischémie spontanée mais seulement induite à l’EE, la prise en charge (pharmacologique ou pire interventionnelle) anti-angineuse est inutile.

En l’absence d’évolutivité du tableau fonctionnel, il n’y a donc aucun intérêt à une réévaluation à titre systématique de l’ischémie myocardique, puisqu’il n’y a aucun changement thérapeutique à en attendre. Les toutes récentes recommandations 2023 de l’ACC/AHA vont dans ce sens, spécifiant que chez les patients présentant une maladie coronaire chronique sans changement de l’état clinique ou fonctionnel, sous traitement optimisé, les tests d’effort avec ou sans imagerie ne sont pas recommandés pour guider la prise de décision thérapeutique.

Test d’ischémie démaquillé

Il faut s’arrêter un instant sur une forme d’EE encore trop réalisée : le test d’ischémie « démaquillé ». Le principe est de faire réaliser l’EE à un patient a qui on a demandé d’interrompre ses traitements angineux (en général le traitement bétabloquant), afin de faciliter la détection d’une éventuelle ischémie. Sans traitement bétabloquant, la fréquence cardiaque maximale atteinte est plus élevée, et donc la probabilité de mettre en évidence une ischémie plus importante. Or, si l’EE devait mettre en évidence une ischémie, quel serait la première chose à faire ? Mettre en route un traitement anti-angineux,… qu’on a justement interrompu pour faire l’examen (puisque, encore une fois, l’angioplastie n’a pas démontré d’intérêt dans la prise en charge de la maladie coronaire stable en dehors de l’angor réfractaire au traitement pharmacologique – ce qui n’est pas le tableau clinique discuté ici).

Le rationnel de l’EE démaquillée date du temps où on pensait qu’une angioplastie coronaire permettrait de diminuer le risque d’évènement clinique en maitrisant cette ischémie, jusque là maquillée par le traitement anti-angineux. Or, on sait depuis presque 30 ans que ce n’est pas le cas : l’angioplastie coronaire ne diminue pas les évènements cliniques dans la maladie coronaire stable. De fait, l’EE démaquillée est un non sens physiopathologique – l’ischémie n’est pas un facteur de risque d’évènement coronaire qu’il faut traquer et traiter – et thérapeutique – on arrête un traitement qui sert justement à traiter ce que l’on cherche.

Le traitement bétabloquant est en général interrompu dans les 48 heures précédent l’examen. Or les demi-vies du bisoprolol ou de l’aténolol sont de 10 h environ ; il serait donc plus cohérent de les arrêter au moins 72 heures avant le test si on veut vraiment le réaliser démaquillé. Quand au nebivolol, la demi-vie d’élimination peut atteindre 50h chez les métaboliseurs lents ; autant dire qu’un arrêt de 48h n’a aucun intérêt pour démaquiller une EE…

Evaluation après infarctus du myocarde

Une habitude ancienne et largement pratiquée (qu’on m’avait apprise au cours de mon internat) est de faire réaliser une EE aux patients ayant fait un infarctus myocardique (IDM), à un an de l’épisode aigu, en particulier pour juger de la pertinence d’arrêter la double anti-agrégation (j’ai du mal à appréhender comment une double anti-agrégation aurait un rôle quelconque dans la maitrise de l’ischémie). Cette pratique a encore été défendue, sans argument sérieux autre que « le bon sens », en session lors des JESFC 2024. Pourtant, déjà en 1998, dans une étude observationnelle de presque 800 patients stables ayant des antécédents d’IDM, les auteurs concluaient que l’EE de routine semblait plus efficace pour identifier un groupe à très faible risque que pour prédire le risque de récurrence ischémique.

Surtout, en 2022, l’étude POST-PCI n’a pas réussi à démontrer l’intérêt d’une EE systématique dans l’année suivant un IDM. Encore une fois, et comme ce qui s’est passé avec les études menées chez les patients diabétiques, l’étude manque de puissance car le risque réel des patients inclus est inférieur au risque estimé et pour lequel l’effectif a été calculé. En revanche, le groupe « test systématique » est plus souvent hospitalisé et subit deux fois plus de coronarographies et d’angioplasties que le groupe contrôle, sans que ça ne se traduise par une différence dans les évènements cliniques du critère primaire. Dans un tiers des cas ces coronarographies ne retrouvent même pas de lésion évolutive sur les gros troncs coronaires épicardiques, en dépit d’un test d’ischémie positif (maladie microvasculaire ou faux positif ?).

Dans le billet de blog de 2022 dans lequel je parle de l’étude, j’écrivais que le faible taux d’évènements observé dans POST-PCI illustre en premier lieu que le traitement pharmacologique de la maladie coronaire est (très) efficace quand il est bien conduit ; et globalement, les scores de risque et nos biais naturels surestiment ce risque d’évènement. Il aurait fallu inclure plus de 6.000 patients dans POST-PCI pour espérer une puissance statistique suffisante à même de démontrer un éventuel bénéfice, alors qu’ISCHEMIA n’a randomisé ‘que’ 5.000 patients à risque ischémique moindre. Ce qui soulève encore une fois la difficulté d’identifier les patients à haut risque, pour une étude et donc encore plus en pratique quotidienne. D’autre part, cela souligne qu’une étude randomisée ne sera jamais réalisée chez des patients à risque encore plus faible, notamment en prévention primaire, pour évaluer la pertinence d’une stratégie de dépistage de l’ischémie myocardique. Sans compter que la pertinence clinique, même si une étude revenait positive, d’une procédure nécessitant un tel effectif pour en démontrer l’efficacité, est largement discutable.

Quelques situations diverses

Bilan préopératoire

Comme je l’évoquais déjà dans le billet dédié, les recommandations 2022 de l’ESC sur l’évaluation cardiologique préopératoire mettent une limitation bienvenue à la recherche de maladie coronaire chez les patients en instance de prise en charge chirurgicale. Les auteurs des recommandations précisent en outre que, si une telle recherche doit être réalisée, l’épreuve d’effort (EE), en raison de ses faibles sensibilité et spécificité « ne devrait être considérée comme une alternative valable pour diagnostiquer une coronaropathie obstructive que si les tests d’imagerie non invasifs ne sont pas disponibles ». L’évolution est notable, alors qu’il fut un temps pas si lointain où la réalisation d’une EE était extrêmement fréquente (soit du fait du cardiologue, soit du fait de l’anesthésiste ou du chirurgien) pour les candidats à une intervention chirurgicale. Actuellement, l’indication se limite essentiellement aux patients ayant une faible capacité fonctionnelle, car potentiellement faussement asymptomatiques. Je renvoie le lecteur au billet cité plus haut pour approfondir le sujet au besoin.

Je ne complèterais le propos qu’en citant un papier publié depuis la mise en ligne du billet, une étude observationnelle portant sur plus de 100.000 patients, qui, encore une fois, ne trouve pas d’association entre recherche systématique de maladie coronaire et amélioration de la mortalité post-opératoire. En revanche, cette recherche est associée à une augmentation de la réalisation de coronarographies ou de revascularisations – sans amélioration, donc, du pronostic (ce qui n’est pas étonnant pour une revascularisation coronaire hors maladie coronaire aiguë). On en revient au problème de la cascade d’examens enclenchée par un test inutile, sujet que j’ai déjà évoqué à plusieurs reprises. En plus de l’absence de bénéfice clinique, cette recherche repousse la date opératoire de 28 jours, ce qui est concordant avec les résultats de l’étude randomisée CARP (Coronary Artery Revascularization Prophylaxis), dans laquelle une coronarographie préopératoire systématique n’entrainait aucun bénéfice mais repoussait l’intervention de 36 jours.

Bilan d’aptitude sportive

Là encore, il n’a pas lieu de beaucoup s’étendre sur un sujet que j’ai déjà traité dans un billet dédié. Les indications sont limitées, et il faut notamment en finir avec cette croyance qu’un sportif asymptomatique devrait bénéficier d’une évaluation cardiologique à l’effort. Ce sont justement les personnes (on ne peut même pas parler de patients) qui en tireront le moins de bénéfice, et qui seront en revanche particulièrement exposées au surdiagnostic et aux cascades d’examens inutiles. La moins mauvaise population à cibler serait les patients à haut risque cardiovasculaire, inactifs et envisageant une activité physique intense. Même dans cette population, l’intérêt est discutable dans beaucoup de cas, puisque d’une part certains patients ont déjà un traitement pharmacologique de la maladie coronaire, et que d’autre part, même chez les autres, le dépistage d’une maladie coronaire ne procurera aucun avantage symptomatique, et un bénéfice pronostic au mieux minime. Il ne serait pas incohérent d’attendre l’apparition des symptomes pour réaliser une recherche de maladie coronaire chez un patient à haut risque cardiovasculaire initialement inactif et asymptomatique.

Conclusion

On voit encore souvent l’utilisation de l’EE comme moyen d’analyser l’ischémie myocardique, et son évolution, en tant que cible thérapeutique, certains patients subissant parfois cet examen de manière annuelle. Pourtant, les interventions qui modifient l’ischémie sans affecter la stabilité de la plaque amélioreront les symptômes, sans effet notable sur le risque d’infarctus du myocarde ou de décès d’origine coronaire. Il n’y a pas donc pas de logique à réaliser une EE chez des patients asymptomatiques, fussent-ils coronariens, puisqu’ils ont peu à gagner sur le plan pronostique et rien à gagner sur le plan symptomatique. En revanche, ces tests entraînent une augmentation des examens d’aval et notamment coronarographie et angioplastie, qui n’influenceront pas le risque d’évènement coronarien mais n’en s’ont pas moins sans risque, soit par eux-mêmes, soit en retardant la prise en charge initialement programmée.

8 réflexions au sujet de « Dépistage de la maladie coronaire par épreuve d’effort – partie 3 : maladie coronaire chronique et situations diverses »

  1. Bonjour Tu vas penser que je te persécute mais il y a une coquille dans le 1er paragraphe Maladie coronaire chronique sur la phrase suivante : »Si le test revient positif et laisse à – de fait donc, asymptomatique – il ne penser qu’il y a une ischémie devrait pas déboucher sur des modifications thérapeutiques »

    A part ça c’est tout bon = MERCI pour ce travail  G LeRoux

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      1. Voici le texte que j’ai téléchargé = « Si le test revient positif et laisse à – de fait donc, asymptomatique – il ne penser qu’il y a une ischémie devrait pas déboucher sur des modifications thérapeutiques »

        Tu as du corriger ton papier source et puis ne pas mettre la bonne et dernière version en ligne. Ce n’est pas grave. Désolé de t’avoir importuné … mais surtout continue.

        Merci 

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  2. Merci beaucoup pour ces papiers.

    Comment gères-tu les bilans pré-transplantation qui te sont adressés ? je n’ai pas l’impression que les recommandations aient changés les pratiques…

    Avec des scintigraphies même chez des patients asymptomatiques, des optimisations de bêta bloquant pour des fréquence à 60/min chez des patients coronariens mais asymptomatique (il me semblait avoir vu des données pour être plutôt vers 90/m). Le problème c’est que bien souvent même si on veut discuter, le patient fini vite en CIT fait des examens.

    As tu vu un changement à Strasbourg ? Merci

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      1. Pour ce qui est de ma gestion quotidienne de cette question, je me réfère aux recommandations de l’ESC dont je faisais une synthèse ici https://insuffisantcardiologue.com/2022/09/02/evaluation-cardiologique-avant-chirurgie-recommandations-esc-2022/. Il y a toute une population qui, étant suffisamment active/autonome, de nécessite pas de recherche d’ischémie. J’ai une conclusion toute faite pour mes courriers, qui renvoie aux recommandations pour justifier l’absence d’intérêt d’un test d’ischémie. Je ne prononcerai pas sur un éventuel changement général des pratiques, n’ayant que ma vision personnelle pour étayer, mais j’en vois personnellement beaucoup moins que par le passé (ou alors ils n’envoient pas le patient chez moi s’ils veulent vraiment une épreuve d’effort !)

        J’ai eu cependant une fois le cas d’un anesthésiste qui insistait pour qu’on fasse une EE (injustifiée) et ne voulait rien entendre (même en lui présentant ce papier de David Brown https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0211161). J’ai fini par faire une EE pour permettre à la patiente d’avancer dans son projet de greffe

        Je ne sais pas si ça répond à tes question

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