A la lumière des trois billets précédents, peut-on dire si l’épreuve d’effort (EE) est un examen de dépistage pertinent ? Dans son guide sur le dépistage, la Haute Autorité de Santé propose des conditions à réunir pour qu’il soit possible et utile de dépister une maladie.
- La maladie doit être détectable précocement : la maladie coronaire peut être diagnostiquée à une stade précoce, dès les premiers dépôts d’athérome
- l’examen doit à la fois :
- être un examen sensible, générant peu de faux négatif : ce n’est pas le cas, la sensibilité n’est que de 60%
- être assez spécifique pour limiter les explorations complémentaires chez les individus considérés à tort comme malades : ce n’est pas le cas, la spécificité est aussi voisine de 60%
- être sans danger : avec un risque de décès ou d’infarctus de seulement 0,04%, c’est un examen assez anodin. Ce qui veut cependant dire qu’en France, chaque année, 270 patients présentent une complication lié à la réalisation d’une EE. Ce fut notamment le cas de René Goscinny
- être simple à réaliser : c’est le cas (et c’est probablement justement l’explication du nombre de tests faits annuellement)
- être reproductible dans toute la population dépistée : je n’ai pas trouvé de publication de qualité pour répondre à ce point
- Il doit exister des traitement efficaces pour freiner ou stopper la progression de la maladie et améliorer l’état de santé des personnes diagnostiquées et traitées : oui, l’association d’aspirine et de statine permet de ralentir la progression de l’athérome coronaire et diminuer les évènements cliniques
- Les personnes les plus à risque de la maladie doivent être facilement identifiables : c’est plutôt vrai même si l’évaluation est difficile et le risque individuel réel souvent surestimé.
- Le dépistage doit diminuer la mortalité : ce n’est le cas ni dans la maladie coronaire ni dans le diabète
- Le dépistage doit présenter plus d’avantages que d’inconvénients : les lignes précédents me font penser que non, ne serait-ce que par le risque de cascade d’examens inutiles et de iatrogénie.
- être acceptable pour les personnes ciblées (par exemple non perçu comme invasif ou douloureux) : en pratique quotidienne, les patients appréhendent souvent l’EE, même si elle n’est ni invasive ni réellement douloureuse.
Force est donc de conclure que l’EE n’est pas un examen de dépistage pertinent : bien que simple à réaliser, il n’est ni sensible ni spécifique et ne permet pas de modifier le pronostic du patient. Dans son intervention aux Journées Européennes de la Société Française de Cardiologie en janvier dernier, François Dievart indiquait que 660.000 épreuves d’effort avaient été réalisées en 2019 en France (sans compter, donc, les scintigraphies myocardiques ou échographies de stress). Quelle proportion est réalisée à titre de dépistage chez des patients asymptomatiques, alors qu’aucune étude interventionnelle n’a réussi a démonter que cet examen apporte un bénéfice clinique aux patients ? Difficile a dire, mais je pense raisonnable d’estimer que c’est probablement au moins les deux tiers. Les EE réalisées de principe sont monnaie courante, parfois même annuellement, et bien plus fréquentes que les EE diagnostiques chez des patients symptomatiques.
A l’heure où le temps médical devient précieux, il est urgent de reconsidérer la place des EE dans la prise en charge des patients, et de sortir du réflexe pavlovien : suivi cardiologique = épreuve d’effort. C’est un examen inutile, peu sensible et peu spécifique, source de stress pour les patients, de surdiagnostic et de iatrogénie. Le sujet commence à être abordé et à faire son chemin parmi les cardiologues. Encore faut-il que cette réflexion se transpose en changement de pratique, évidement chez les cardiologues en premier lieu, mais aussi dans les autres spécialités médicales voire chez les patients. Plus largement, c’est le concept même du dépistage de l’ischémie myocardique chez le patient asymptomatique qui est discutable, compte tenu de la physiopathologie de la maladie coronaire et des résultats des grandes études d’interventions des dernières années. Quand à savoir si le dépistage anatomique de l’athérome coronaire est plus pertinent, c’est une autre histoire…
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