Dépistage de la maladie coronaire par épreuve d’effort – partie 1 : un peu de biostatistique

Pour bien cadrer la réflexion de la place de l’épreuve d’effort (EE) dans le dépistage de l’épreuve d’effort, il est indispensable de débuter par quelques éléments de biostatistiques et de probabilité, telles que la sensibilité et la spécificité, la valeur prédictive positive ou la valeur prédictive négative. La valeur prédictive positive est la probabilité que la pathologie soit présente lorsque le test est positif, tandis que la valeur prédictive négative est la probabilité que la pathologie soit absente lorsque le test est négatif. Ces deux paramètres dépendent de la sensibilité (probabilité d’un test positif chez les malades) et de la spécificité (probabilité d’un test négatif chez les non-malades) du test pour la pathologie recherchée, et de la prévalence dans cette pathologie dans la population testée (le calcul dérive du théorème de Bayes).

Validité intrinsèque de l’épreuve d’effort

Quand la prévalence d’une maladie est basse, la pertinence diagnostique d’un test (sa valeur prédictive positive) dépend quasi exclusivement de sa spécificité : une faible spécificité engendre un nombre important de faux positifs qui seront soumis à d’autres examens et traitements (surdiagnostic). La valeur comme test de dépistage (valeur prédictive négative) décroit à mesure que la prévalence augmente, et une faible sensibilité engendre un nombre important de faux négatif qui seront rassurés à tort. La validité intrinsèque d’un test (sa sensibilité et sa spécificité) étant fixe, l’efficacité des tests dépend de la prévalence de la pathologie dans la population.

Dans une métanalyse de 1989 portant sur plus de 20.000 patients, la sensibilité et la spécificité moyennes de l’EE pour le dépistage d’une maladie coronaire significative, en cas de sous-décalage du segment ST de 1 mm, étaient respectivement de 68 % (IC95% 40-90%) et 77 % (IC95% 50-100%). Une méta-analyse plus récente retrouvait des valeurs plus faibles : sensibilité 58 % (IC95% 46–69) et spécificité 62 % (IC95% 54–69). Chez les patients diabétiques asymptomatiques, la sensibilité et la spécificité de l’EE pour le diagnostic de la coronaropathie obstructive seraient respectivement de 47 % (IC95% 41-58%) et 81 % (IC95% 68-89%). J’ai résumé dans le tableau ci contre les données issues de l’article de Arbab-Zadeh et de celui de Knuuti et al pour différentes modalité de recherche d’atteinte coronaire ; on voit que l’EE est l’examen ayant la validité intrinsèque la plus mauvaise, avec notamment une sensibilité très basse ce qui en fait – en théorie en tout cas – un mauvais outil de dépistage.

Prévalence de la maladie coronaire

La prévalence de la maladie coronaire dépend évidement de la sévérité de l’athérome que l’on prend en compte. Tout athérome coronaire n’est pas nécessairement pathologique ; il existe une continuité entre le strictement normal et le totalement pathologique. La présence d’une anomalie (au sens de « différent de ce qui est considéré comme la normalité du sujet sain ») ne signifie pas qu’il s’agit d’une pathologie, ni qu’une prise en charge médicale de cette anomalie apportera un bénéfice clinique. C’est parfaitement illustré par l’échec de l’aspirine en prévention primaire, notamment chez les patients ayant pourtant un athérome périphérique. Tout athérome coronaire n’est pas pathologique, et la prévention secondaire n’est définie par l’European Society of Cardiology que pour deux atteintes coronaires de plus de 50%.

De fait, la seule atteinte coronaire qu’il est pertinent de rechercher est celle responsable d’une sténose supérieure à 50% (classiquement appelée « obstructive »). Dans une cohorte de 25.000 personnes âgées de 50 à 64 ans, 42% des patients présentaient une athérosclérose coronarienne et 5% une coronaropathie obstructive. La prévalence de la maladie coronaire relevant d’une prise en charge pharmacologique, en France, dans l’ensemble de la population, est de 3 à 4%. Dans l’étude FACTOR-64 portant sur des patients diabétiques, 6 % des patients avaient une atteinte coronaire obstructive au coroscanner. Une sous-étude menée chez les patients diabétiques du registre CONFIRM retrouvait une prévalence beaucoup plus importante, 70 % des patients présentant un athérome coronaire et 27,8 % une atteinte coronaire obstructive. Cependant il s’agit d’une population très sélectionnée puisque les auteurs n’ont retenu que 400 patients d’un registre de plus de 27.000 patients. Ces études ayant été faites chez des patients à risque nécessitant une évaluation coronaire, la prévalence de la maladie coronaire obstructive dans la population des sujets jeunes asymptomatiques en prévention primaire est bien plus basse et ne dépasse probablement pas 1%.

Efficience de l’épreuve d’effort pour le dépistage de la maladie coronaire

A partir du théorème de Bayes, et des données exposées plus haut, on peut estimer les valeurs prédictives positive et négative de l’EE pour le dépistage de la maladie coronaire obstructive.

Pour une prévalence de maladie coronaire obstructive de 4%, la valeur prédictive positive d’une épreuve d’effort positive chez un patient asymptomatique tout venant est de 11% selon les données d’Arbab-Zadeh, 6% avec les données de Knuuti et al. Elle s’effondre à 3% ou 1,5% respectivement si la prévalence est de 1% ! Ces chiffres sont assez similaires à ceux retrouvés par Van de Sande et al pour l’EE de dépistage chez le sujet sportif asymptomatique (étude dont je parlais ici). Les valeurs prédictives négatives sont dans tous les cas entre 97% et 99%. Ainsi, chez un patient asymptomatique, une EE normale implique l’absence de maladie coronaire obstructive et donc l’absence de modification thérapeutique. En cas de positivité, dans plus de 9 cas sur 10, il s’agira d’un faux positif, mais pour le savoir il faudra faire réaliser d’autres examens, qui, outre le poids psychologique qu’ils impliquent pour le patient (et le médecin), pourraient aboutir à un surdiagnostic en mettant en évidence un athérome non sténosant, qui inciterait éventuellement à initier des traitements inutiles (surtraitement).

Chez les patients diabétiques asymptomatiques, avec une prévalence de coronaropathie obstructive de 25 % (probablement très surestimée), une sensibilité de 47% et une spécificité de 81%, la valeur prédictive négative est de 82% (un patient sur 5 avec une EE normale aurait donc quand même une atteinte coronaire significative) et la valeur prédictive positive de 45 % (autant jeter une pièce à pile ou face en cas d’EE positive)*. Si on retient une prévalence de 6%, la valeur prédictive négative est de 96 % et la valeur prédictive positive d’à peine 13%. On est donc dans une situation où, potentiellement, quelque que soit le résultat de l’EE de dépistage, il faudrait faire tout de même d’autres explorations coronaires. Laisseriez-vous sans bilan supplémentaire des patients dont le test est normal en sachant qu’un patient sur cinq est tout de même malade et qu’un patient sur deux avec un test positif n’est en fait pas malade ? Quel est l’intérêt de réaliser un examen complémentaire qui ne change pas la prise en charge du patient ?

Conclusion

Contrairement à ce qui est souvent estimé, plus le risque de maladie coronaire augmente, plus la pertinence d’une EE de dépistage diminue, puisque qu’aucun résultat – normal ou positif – ne permet de conclure en confiance. Quand aux patients à (très) faible risque de maladie coronaire, ou l’EE ne changera pas la prise en charge puisqu’elle sera normale, ou elle expose à une cascade d’examens complémentaires pour l’hypothétique patients sur 20 (au mieux) qui aurait effectivement une atteinte coronaire significative.

Dans les prochain billets, nous explorerons les résultats des essais cliniques qui ont évalué la place de l’EE dans le dépistage de la maladie coronaire, au delà des assomptions statistiques que nous venons de faire.


* Rendons à César ce qui appartient à Jérome Adda, qui le premier a proposé cette méthode alternative tout aussi efficace de dépistage de l’ischémie.

2 réflexions au sujet de « Dépistage de la maladie coronaire par épreuve d’effort – partie 1 : un peu de biostatistique »

  1. Masterclass de révisions statistiques, tu remets bien les points sur les i ! Je n’imaginais pas que c’était si bas en prévalence. Je suis biaisé par la nord-pas-de-calose et le nombre de fumeurs que je vois.

    Quant à l’article ci dessus sur les CAC scores des sportifs d’endurance, je ne sais pas si ces gens vont avoir des événements cliniques. Je suis d’accord qu’il faut creuser ce petit signe d’alerte mais je crains une forme de disease mongering qui fasse tourner les coroscans.

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