L’activité physique est unanimement recommandée pour ses bénéfices en prévention primaire et secondaire, mais elle peut exceptionnellement entraîner des complications graves. C’est la peur du trouble du rythme mortel apparaissant chez un sujet peu entraîné à l’occasion d’une activité intense et brutale, en raison d’une atteinte cardiaque sous-jacente méconnue, qui motive les demandes de certificats de non contre-indication (CNCI) et les bilans cardiologiques itératifs, source importante de consommation de temps médical. Le paradoxe est donc que l’activité physique procure un bénéfice pour la santé de la grande majorité de la population, mais peut servir de déclencheur d’arythmies dans une petite minorité ayant un substrat pathologique sous-jacent. Par conséquent, le défi pour les programmes de dépistage à grande échelle est d’identifier les personnes à risque tout en minimisant les contre-indications inutiles à la pratique sportive.
Il est bien évident que ce billet envisage la problématique du dépistage chez des sujets asymptomatiques à qui il est demandé de réaliser un bilan systématique. Le simple fait qu’il existe un symptôme fait sortir le patient du contexte du dépistage systématique pour le faire entrer dans une démarche de diagnostic, dont les différents paramètres sont totalement différents de ceux que je vais exposer ici. De même, les sportifs de haut niveau ou ayant une charge d’entrainement hebdomadaire importante sont une population particulière qui ne relève pas non plus de ce billet.

On estime à environ 10 millions le nombre de sportifs (plus ou moins occasionnels) en France, et à un millier les morts subites annuelles dans ce contexte. Ces morts subites ne représentent qu’une faible proportion de toutes les morts subites (environ 5%). Grâce au développement des formations de secourisme et à la diffusion large des défibrillateurs automatiques externes, la survie au décours de ces arrêts circulatoires qui surviennent souvent en présence de témoins et dans des lieux équipés de défibrillateurs est meilleure que celles des morts subites hors contexte sportif.

L’article d’Eloi Marijon publié dans Circulation en 2011 et celui publié dans Circulation:Arrhythmia and electrophysiology en 2013 donnent de précieuses informations épidémiologiques sur la mort subite pendant le sport. Environ 5% de ces décès concernent de jeunes athlètes en compétition et 5% des femmes, l’immense majorité des décès concernant les hommes d’âge moyen en général dans leur 5ème décennie, faisant une activité de loisir. Environ la moitié des victimes de mort subite à l’exercice présentent au moins un facteur de risque cardiovasculaire. De manière globale, la maladie coronaire est responsable d’environ 75% des cas de décès et les cardiopathies non ischémique de 15 à 20%. Mais la répartition varie en fonction de l’âge de la population étudiée. Les cardiomyopathies notamment héréditaires prédominent chez les sujets jeunes de moins de 30 ans, alors que les atteintes coronaires deviennent prédominantes après 35-40 ans. Néanmoins il faut apporter quelques bémols. D’une part la présence d’atteinte coronaire chez le sujet sportif n’a pas forcément la même signification que chez le sujet sédentaire. En effet, les marathonien ont plus fréquemment un CAC-score élevé que les sujets contrôles non sportifs malgré un risque cardiovasculaire moindre. La relation entre CAC-score et risque cardiovasculaire est peut-être différente entre population générale et athlètes, ces derniers semblent plus susceptibles d’avoir des scores CAC élevés composés de plaques stables. NFKB en parlait dans un ses billet de blog. En outre, la fréquence de la maladie coronaire augmente avec l’âge de manière physiologique, et une association ponctuelle entre décès et maladie coronaire ne veut pas nécessairement dire causalité. Enfin, chez les femmes, les atteintes coronaires sont bien plus rares et les troubles rythmiques sans lésion structurelles prédominent.
Le risque d’accident cardiaque des sujets porteurs d’affection cardiovasculaire est assez bien connu à l’échelle de la population ; le risque individuel est lui beaucoup plus difficile à estimer – si ce n’est impossible. Si les morts subites touchent davantage les sujets classés à haut risque, elles surviennent également parmi ceux qui ont été jugés à faible risque. C’est pour ne pas rater ces patients que se sont développés les bilan d’aptitudes sportives. Pour autant l’activité physique apporte un bénéfice en terme de baisse de la mortalité y compris en cas de maladie coronaire avérée et pour des activités physiques soutenues. Le dépistage doit donc efficacement identifier des sujets à risque important de complications à l’effort, sans empêcher les autres de bénéficier des bienfaits de l’activité physique.
La valeur d’un examen dépend évidement de ses caractéristiques intrinsèques, mais aussi de la population dans laquelle il est utilisé et de la fréquence de la pathologie que l’on souhaite mettre en évidence. Quand la prévalence d’une maladie est basse, la pertinence diagnostique d’un test dépend quasi exclusivement de sa spécificité : une faible spécificité engendre un nombre important de faux positifs. Les cardiopathies héréditaires comme la cardiopathie hypertrophique, la dysplasie arythmogène du ventricule droit ou les anomalies des canaux ioniques responsables de troubles du rythme ont chacune une prévalence maximale de 0,2% en population générale, et probablement moins chez les jeunes sportifs. Quant à la prévalence de la maladie coronaire avant 60 ans, elle ne dépasse pas 1%. Même en prenant une sensibilité et une spécificité de 95%, la valeur prédictive positive d’un test pour dépister une atteinte coronaire asymptomatique est d’à peine 16%, et 3% pour les cardiopathies héréditaires. Il est donc fondamental de démontrer l’intérêt d’un programme de dépistage avant de le déployer à grande échelle.
Les recommandations de la Société Française de Cardiologie sur le CNCI (qui datent de 2009) reposent avant tout sur les résultats d’une étude italienne rétrospective méthodologiquement discutable, publiée en 2006, ne comprenant pas de groupe témoin et dont les résultats ne sont pas ajustés de nombreux facteurs confondants (dont les plus évidents comme le type de sport ou l’origine ethnique). Le niveau de preuve est donc (très) faible mais structure la prise en charge depuis des années. La comparaison avec des données américaines suggère que la baisse des décès est moins liée au screening qu’à l’évolution épidémiologique naturelle, ou alors avec un biais statistique. Déjà dans une série autopsique de 1996, Marron et al. soulignaient la prise en défaut de l’évaluation cardiologique de dépistage. Dans un récent registre prospectif britannique portant sur 11.200 adolescents inscrits en club de football et ayant bénéficié d’un dépistage par examen clinique, ECG et échocardiographie, on dénombrait sur une dizaine d’années, 8 morts subites d’origine cardiaque. Dans 6 des cas, le bilan de dépistage s’était révélé normal. 42 adolescents porteurs de pathologie à risque de mort subite ont été interdits de sport ; 2 d’entre eux (porteurs de cardiomyopathie hypertrophique) ont poursuivi leur activité sportive et sont décédés de mort subite à l’exercice. En l’absence de groupe contrôle, impossible de savoir l’apport de ce programme de dépistage. La question de la pertinence de ce dépistage systématique mérite d’autant plus d’être posée que l’interdiction d’activité sportive est remise en cause dans certaines pathologies qui jusque là étaient synonymes de contre indication absolue (voir par exemple le cas du QT long congénital).
Même si le coût d’un ECG est un petit prix pour une potentielle vie sauvée, la réflexion sur un programme de dépistage ne peut s’affranchir d’une réflexion sur le coût engagé et les ressources mobilisées. Sur la base des données italiennes – et en mettant de côté les limites méthodologiques – Steinvil et al. estimait le coût d’une vie sauvée à 1,3 millions de dollars. Dans l’étude anglaise, le coût pour à la mise en évidence d’une pathologie cardiaque associée à un risque de mort subite est de 77.000 £. Aux USA, Leslie et al estimaient le coût par année de vie gagnée entre 90.000 $ pour un dépistage à 14 ans et 200.000 $ pour un dépistage à 8 ans. En France, je rappelle que le bilan d’aptitude sportive (à la demande d’une compétition, d’un club ou d’une fédération) et les consultations afférentes à la rédaction d’un CNCI ne sont pas un acte de soin, ne sont pas pris en charge par la sécurité sociale et ne sont pas remboursés. Certains confrères font passer ces examens comme acte de soin remboursable ; c’est leur choix mais ils risquent de se voir réclamer des indus. Personnellement je refuse de faire supporter par la solidarité nationale des examens médicalement discutables. Les fédérations ne préviennent souvent pas les patients qui tombent alors des nues en apprenant que l’examen ne sera pas remboursé.
consultation pour les cardiologues (CSC) (comprend un ECG) | 47,73 € |
échographie cardiaque (DZQM006) | 96,49 € |
épreuve d’effort (DKRP004) | 76,80 € |
Examen clinique
Comme toute consultation médicale, le bilan d’aptitude sportive, et son pendant cardiologique qui nous intéresse ici, débute par un interrogatoire parfois policier. Les points qui doivent éveiller des soupçons sont
- une histoire familiale de maladie cardiaque héréditaire ou congénitale, ou de mort subite avant 50 ans
- une histoire personnelle de symptôme PENDANT l’effort, notamment douleur thoracique, essoufflement inhabituel, perte de connaissance, palpitations ; mais aussi de limitation inhabituelle des capacités sportives ou une sensation anormale d’être bridé dans son effort. La chronologie des symptomes par rapport à l’effort est fondamentale, notamment pour les pertes de connaissances. Les pertes de connaissances survenant après l’effort sont le plus souvent de mécanisme vagal et sans gravité, liées à un arrêt trop brutal d’une activité physique intense. En revanche, les pertes de connaissance pendant l’effort sont beaucoup plus inquiétantes car souvent liées à des troubles du rythme. Le caractère policier de l’interrogatoire devient alors ici fondamental pour faire préciser exactement les circonstances de survenue des symptomes.
L’examen clinique est finalement assez limité. Il s’attachera essentiellement à la recherche d’un souffle pathologique, cardiaque ou vasculaire. C’est aussi l’opportunité d’une mesure de la pression artérielle. Sensibilité et spécificité de l’examen clinique sont faibles (environ 60-70%). Autant dire que le bilan clinique n’aide pas à stratifier le risque et ne peut se suffire à lui-même si on souhaite remplir cet objectif.
L’intérêt de la consultation médicale dans ce contexte est avant tout lié à l’information des patients quant aux signes d’alertes. En effet, dans plusieurs études les victimes d’arrêt circulatoire déclarent avoir eu des symptomes dans les semaines précédents l’accident (entre 30 et 50 % des patients) voir la veille de l’évènement (lire ici ou ici), symptômes le plus souvent négligés. Et 70% des personnes ne consulteraient pas spontanément un médecin s’ils notaient l’apparition de tels symptômes.
Electrocardiogramme
L’ajout de l’ECG permet d’augmenter nettement la sensibilité de l’examen clinique la faisant passer à près de 90 %, ce qui reste cependant modeste compte tenu du nombre de personnes qui devraient en bénéficier. La spécificité est meilleure, de l’ordre de 95-98 %.
Néanmoins ces chiffres issus d’études cliniques sont probablement surestimés compte tenu de l’interprétation parfois délicate d’un ECG en pratique clinique quotidienne, notamment chez l’enfant. Si sur le papier les choses semblent assez simples (cf illustration), il est parfois difficile dans la « vraie vie » de différencier un aspect normal d’un aspect pathologique. Il serait trop long et inutile de détailler tous les aspects ECG normaux et pathologiques. Celles et ceux que ça intéresse peuvent faire un tour sur e-cardiogram pour retrouver des explications sur chacun des tracés mentionnés dans l’illustration. Je me contenterais ici de quelques grandes lignes.
- en raison de l’hypertonie vagale du sportif, une bradycardie sinusale n’est pas pathologique pour autant qu’elle soit asymptomatique, y compris s’il existe des épisodes de bloc atrioventriculaire du premier degré ou du deuxième degré Mobitz 1. Il est également fréquent et totalement anodin d’observer des variations respiratoires de la fréquence cardiaque, physiologiques
- la différence entre normalité et pathologie concernant la repolarisation est souvent plus difficile. L’inversion de l’onde T de V1 à V3 est physiologique chez le jeune de moins de 16 ans et l’athlète d’origine africaine, mais en général pathologique dans les autres cas.
- le bloc de branche droite incomplet est banal en raison de l’hypertonie vagale, si tant est qu’il n’est pas confondu avec un aspect de Brugada
- la présence d’extrasystoles ventriculaires n’est pas forcément pathologique en particulier en cas de bradycardie sous-jacente. Fixer une limite à 2 ESV en 10 secondes comme le font les recommandations est assez artificiel et ne repose pas sur des données très robustes.
Il m’arrive moi-même de demander une deuxième lecture à un ami rythmologue, autant dire que pour un médecin généraliste qui n’est pas rompu à la lecture de l’ECG, le diagnostic peut parfois être difficile. Cette difficulté explique notamment le taux de faux positifs estimé à 2 à 4%, chez l’adulte comme chez l’enfant. Si on soumettait l’ensemble des 10 millions de sportifs français à ce triptyque interrogatoire – examen clinique – ECG, on aurait donc un nombre important de patients chez qui serait demandé – pour rien – des examens plus poussés (échographie cardiaque, épreuve d’effort, voir plus), avec le stress qu’engendrent une suspicion de maladie cardiaque. Néanmoins, on serait enclin à accepter une part de sur-diagnostic si le bilan permettait effectivement d’identifier des personnes à risque de problème cardiaque. La réalité est que la réalisation d’un ECG systématique chez des adultes asymptomatiques à bas risque multiplie par 5 la probabilité de faire subir au patient des examens cardiologiques supplémentaires, sans aucun bénéfice sur la mortalité (l’étude de Bahtia porte sur plus de 3 millions de personnes et s’applique tout autant au bilan d’aptitude sportive qu’au bilan systématique des 50, 55 ou 60 ans ou plus), et n’a pas démontré non plus d’efficacité chez les enfants.

Dans ses recommandations 2020 sur l’activité physique chez les patients porteurs de pathologies cardiovasculaires, l’ESC reste très mesurée sur l’intérêt d’un dépistage électroclinique qui « peut être envisagé » chez des sportifs en compétition ; la recommandation relève du consensus d’experts, et exclue les pratiquant de sport de loisir. L’HAS comme l’USPSTF rappellent que l’ECG systématique n’a aucun intérêt chez le sujet tout venant asymptomatique. L’USPTF précise qu’elle ne peut pas formellement conclure dans le cas des patients à haut risque cardiovasculaire en l’absence de données fiables issues d’essais cliniques (j’en parle ici). Pour l’HAS, en dehors évidemment des patients symptomatiques, l’ECG n’a de place qu’en prévision d’une activité physique d’intensité élevée s’il existe une histoire de mort subite familiale avant 50 ans ou une pathologie cardiovasculaire avérée. L’HAS précise clairement que l’hypertension artérielle équilibrée n’est pas un motif de bilan cardiologique systématique avant activité sportive. Je souligne ici qu’un patient asymptomatique ayant déjà une activité physique d’intensité élevée ne justifie donc pas d’un contrôle électrocardiographique « de principe ».
Echocardiographie
Le principale intérêt de l’échocardiographie réside dans le suivi des sportifs de haut niveau ou ayant une charge d’entrainement importante afin de différentier adaptation cardiaque normale ou pathologique à l’exercice. Ceci sort cependant du cadre de ce billet.
La spécificité de l’échocardiographie est considérablement réduite dans un contexte de dépistage en raison des diversités d’âge, de genre et d’ethnie. En effet, il y a un important chevauchement des valeurs normales et pathologiques auquel s’ajoute la variabilité inter observateur de la technique. Ainsi, un septum interventriculaire de 12 mm est probablement pathologique chez un homme caucasien, mais pas forcément chez un homme d’origine africaine. Le risque est d’interdire la pratique sportive sur la base d’anomalies échographiques qui pourraient correspondre à une pathologie elle-même putativement à l’origine d’un possible risque accru de mort subite. Le fait est que de nombreuses pathologies peuvent être mise en évidence à l’examen clinique ou à l’ECG quand elles deviennent évidente en échographie, l’examen ultrasonore apportant seulement une confirmation diagnostique et surtout une évaluation pronostique. En revanche, les anomalies discrètes des pathologies débutantes nécessitent pour être éventuellement mises en évidence un opérateur entrainé et un temps d’examen certain.
Une étude de dépistage échographique a montré que sur un peu plus de 2.000 jeunes sportifs, l’échographie documentait 0,7% d’anomalies potentiellement suspectes (essentiellement des cardiomyopathies hypertrophiques). Néanmoins, sur les 14 patients, 6 ont refusé le suivi et pour les 8 autres le diagnostic de cardiopathie a finalement été infirmé. Il apparait donc dans cette étude que l’échocardiographie de routine a surtout le potentiel d’exclure des athlètes de la pratique sportive de manière inappropriée tout en ayant une efficacité limitée ou inexistante dans la détection des pathologies à risque de mort subite. De fait, en dehors de points d’appel électroclinique, l’échographie cardiaque n’a pas sa place dans un bilan de dépistage systématique.
Epreuve d’effort
Il y a beaucoup à dire sur la place excessive donnée à l’épreuve d’effort dans la pratique cardiologique quotidienne ; néanmoins cela dépasse la cadre de ce billet (mais j’espère un jour pouvoir en parler plus longuement). Dans le cadre qui nous intéresse ici, outre par le cardiologue, l’épreuve d’effort est parfois (souvent) demandée explicitement par le médecin généraliste ou par le patient qui y voient l’examen ultime pour s’assurer de l’absence de risque cardiaque. Le réflexion sous jacente est en général que l’épreuve d’effort permet de mettre en évidence une sténose coronaire significative, dont la prise en charge (sous entendu par une angioplastie) permettra d’éviter un infarctus. Cette pensée est tout bonnement erronée pour plusieurs raisons
- l’ischémie est un marqueur de risque et pas un facteur de risque d’infarctus et de décès. Elle est le reflet de l’extension de la maladie coronaire. Ce n’est pas le traitement focal de la sténose responsable de l’ischémie qui améliore le pronostic, mais la prise en charge globale de la maladie coronaire.
- les occlusions coronaires responsables d’infarctus surviennent non pas au niveau de sténoses très serrées en général stabilisées, mais sur de jeunes plaques fragiles indétectables en épreuve d’effort.
- le trouble du rythme ventriculaire survient en cas d’occlusion aiguë sur un réseaux coronaire globalement peu malade, alors qu’une occlusion sur un réseau déjà atteint ne s’accompagne en général pas de mort subite (préconditionnement ischémique)
Un test d’effort positif est un assez bon indicateur d’ischémie, mais ne prédit pas le risque d’infarctus myocardique ou de mort subite ultérieurs, car la première participe d’une sténose existante tandis que les seconds sont la conséquence d’une lésion non-obstructive à la date de l’examen. Les patients asymptomatiques ont donc peu à gagner sur le plan pronostique et rien à gagner sur le plan symptomatique. Dans une récente méta-analyse de la valeur du test d’effort de dépistage chez des sportifs asymptomatiques, la prévalence de tests anormaux entrainant l’interdiction de pratique sportive s’élève à 0,6%. La valeur prédictive positive est très faible : elle est estimée à 9% dans l’ensemble de la population, et chute même à 4,7% chez les patients entre 35 à 60 ans (la valeur prédictive négative n’a pas pu être déterminée). Ce n’est pas étonnant quand on sait que des sujets normaux peuvent par exemple présenter des extrasystoles ventriculaires voire des doublets ventriculaires au maximum de l’effort, sans aucun caractère pathologique, mais qui pourraient faire penser à une ischémie. Même avec des anomalies de la repolarisation ou chez des patients à haut risque cardiovasculaire, une capacité d’effort supérieure à 10 METs traduit un risque d’ischémie et d’évènement coronaire minime. Ainsi, le simple fait qu’un patient soit capable de courir à 9-10 km/h, de sauter à la corde ou de pédaler à 25 km/h sans avoir de symptôme suffit à dire que le risque coronaire est minime sans même avoir besoin d’en passer par un test d’effort.
Avec une valeur prédictive positive de moins de 10%, autant dire que le taux de faux positif est phénoménal. Le corollaire est l’induction d’une cascade d’examens loin d’être anodine. Car en cas d’épreuve d’effort positive, la suite habituelle est la scintigraphie myocardique ou directement la coronarographie et l’éventuelle angioplastie (d’une lésion qui ne devait pas l’être), acte invasif avec ses complications propres. Il ne faut pas non plus négliger l’impact psychologique de se voir annoncer un problème cardiaque rendant impossible la poursuite de l’activité sportive et nécessitant un acte invasif, et les coûts engendrés par les examens qui suivront.

L’ajout systématique d’une épreuve d’effort est donc totalement déraisonnable chez un patient asymptomatique. Le tableau ci-contre résume les indications et non-indications retenues par l’ESC, l’HAS et l’USPSTF. L’épreuve d’effort n’a pas d’indication chez les patients envisageant des activités physique d’intensité faible ou modérée ou chez les patients à faible risque cardiovasculaire. L’USPSTF ne retient aucune indication d’épreuve d’effort chez les patients asymptomatique, quelque que soit le risque cardiovasculaire. Cette dernière position est cohérente avec l’absence d’efficacité des stratégies de recherche systématique d’ischémie chez les patients diabétiques, archétypes des patients à haut risque cardiovasculaire (études DIAD, DYNAMIT et DADDY-D). ESC et HAS limitent les indications aux patients à haut risque cardiovasculaire débutant une activité physique intense. L’HAS propose également une épreuve d’effort chez les patients à haut risque faisant déjà une activité physique de haute intensité, alors que l’incrément diagnostic est probablement inexistant (le patient fait déjà un effort important tout en étant asymptomatique), et chez les sujet à risque modéré jusque là inactif, ce qui semble reposer sur pas grand chose à la lumière de la littérature.
Conclusion
Une mort subite est toujours un drame, et c’est encore plus vrai des morts subites au cours de l’activité sportive, qui frappent en général des sujets (très) jeunes considérés « en bonne santé ». Mais de manière objective, la part des morts subites associées au sport est relativement faible par rapport au fardeau global des morts subites dans l’ensemble de la population. De fait, au plan de la santé publique, la sensibilité d’un dépistage systématique en population générale est trop basse pour être coût-efficace. Au plan individuel, l’estimation du risque de mort subite est difficile voire impossible et nécessite d’abord un entretien rigoureux et une bonne maîtrise de la lecture de l’ECG. Aucun programme de dépistage n’a cependant démontré de bénéfice réel pour identifier les personnes à risque de mort subite, car la découverte d’une anomalie jusque-là asymptomatique, à l’occasion d’un bilan d’aptitude sportive, ne veut pas dire qu’un quelconque risque se matérialisera un jour ; on risque en revanche de priver cette personne des bénéfices de l’activité physique.
Le Certificat de Non Contre-Indication à la Pratique Sportive devrait être abandonné car il ne protège pas les sportifs, occasionnels ou non, d’un accident, consomme du temps et des ressources médicales, et favorise les cascades d’examens et de traitements inutiles. Le simple fait que des morts subites surviennent chez des sportifs de haut niveau surveillés sous toutes les coutures est l’illustration caricaturale qu’on ne peut que difficilement systématiquement prévoir un évènement comme celui-ci. Je pense personnellement que le bilan cardiologique d’aptitude sportive chez un sujet asymptomatique est totalement inutile en l’état des données en notre possession, mais peut être pour ne pas avoir l’impression de ne rien proposer, certains auteurs et certaines sociétés savantes conseillent de cibler les populations dont le risque parait empiriquement le plus haut. Du fait de la prévalence relativement élevée des facteurs de risque et maladies cardiovasculaires chez les victimes de mort subite, le bilan cardiologique pourrait cibler le sujet à haut risque cardiovasculaire envisageant de débuter une activité physique de haute intensité. La balance bénéfice/risque chez les patients à risque cardiovasculaire faible ou moyen, ou chez ceux envisageant une activité d’intensité faible à modérée, ne semble pas favorable avec un risque de surdiagnostic très important. Par ailleurs, quelque soit le risque cardiovasculaire, un patient restant asymptomatique pour des activités à haute intensité ne nécessite pas de bilan : le niveau d’effort atteint sans symptôme est en soit un gage de sécurité. Il est bien évident cependant qu’un bilan cardiologique avec épreuve d’effort s’impose si le patient, quels que soient son risque cardiovasculaire et l’intensité habituelle de son activité physique, signale des symptômes associés à l’exercice ou a noté un changement de performance sans causes évidentes.
Au delà de l’identification des individus à haut risque, on peut aussi réfléchir à une stratégie de prévention de la mort subite basée sur l’éducation de la population. Les patients présentant des symptômes – négligés – avant l’arrêt circulatoire illustrent un levier de prévention possible. Les tests d’effort doivent être dictés par la symptomatologie et non pas être utilisés comme un outil de dépistage, et les athlètes, en particulier les plus âgés, doivent être invités à porter une attention particulière aux symptômes cardiaques prodromiques, et à consulter en cas de baisse inhabituelle et inexpliquée des performances sportives. La large mise en place de défibrillateurs externes automatiques pouvant fournir un traitement d’urgence en cas d’arrêt circulatoire avec rythme choquable est un autre levier déjà actionné qui doit être couplé à la diffusion large de l’enseignement des gestes de premier secours. Étant donné que nombre de morts subites participent d’un substrat génétique, un dépistage en cascade des familles d’enfants réanimés devrait être systématiquement réalisé, ce qui permettrait une identification plus efficace des cas. Le contexte de mort subite familiale avant 50 ans justifie tout à fait un bilan cardiologique chez le sujet jeune à la recherche d’une atteinte héréditaire, bilan qui pourra être répété selon l’âge auquel il est réalisé pour la première fois en raison de la pénétrance incomplète et de l’évolution temporelle de certaines pathologies (cardiomyopathie hypertrophique ou dysplasie arythmogène du ventricule droit notamment).
L’ensemble de la réflexion sur la (non)pertinence du bilan d’aptitude sportive chez un sujet asymptomatique s’étend aisément aux bilans systématiques largement proposés à l’occasion des passages de la cinquantaine ou de la soixantaine. Le dépistage étant inefficace à identifier des sujets à risque à l’occasion d’une activité pourvoyeuse (de manière toute relative) d’accidents cardiaques, il est illusoire de penser qu’on améliorera le pronostic cardiovasculaire du sujet tout venant asymptomatique s’il est en plus inactif. L’inutilité du dépistage systématique de l’ischémie myocardique chez le patient diabétique est, encore une fois, l’illustration même que ces habitudes doivent être changées. Ces bilans systématiques sont inutiles, consommateurs de temps et de ressources, responsables de surdiagnostic et de surtraitement, et devraient être abandonnés afin de libérer du temps cardiologique pour les patients le nécessitant vraiment, à une époque où le temps médical devient précieux.
Merci beaucoup pour cet article intéressant. Le commentaire n’a pas vocation à être publié, je voulais juste signaler ce qui me semble être une erreur, dans le paragraphe sur l’échocardiographie :
» 14 patients, 6 ont refusé le suivi et pour les 9 autres ». J’imagine qu’il s’agit de 5 et 9 ou 6 et 8.
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Bien vu. Il s’agit de 6 et 8. J’ai corrigé dans le texte. Merci
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Merci beaucoup Excellent article
Vos recommandations sont bien loin de la pratique quotidienne observée
Les bilans sont hélas demandés à tour de bras et, j’en suis comme vous tout à fait convaincu, inutilement
Vous le démontrez avec brio
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[…] Le certificat médical préalablement demandé au médecin de famille pour cette admission n'est donc plus nécessaire. Le bilan cardiologique d’aptitude sportive sert-il à quelque chose ? – Insuffisant Cardiologue. […]
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Travail sérieux et efficace
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