Les premières descriptions d’analyse électrocardiographique à l’effort datent de 1942. Pour ce qui n’était alors qu’un ECG post-effort (même pas encore sur ergomètre), les auteurs soulignaient déjà l’importance de la standardisation du protocole de test pour assurer reproductibilité et pertinence diagnostique. En 1963, R.A Bruce publie l’article qui décrit le protocole qui porte son nom, jetant les bases de l’épreuve d’effort (EE) moderne (la référence originale et le texte en libre accès). Progressivement, les possibilités d’exploration de la circulation coronaire se compléteront, au plan fonctionnel (scintigraphie, échographie, IRM de stress, plus récemment PET-scan) comme anatomique (coronarographie, score calcique, coroscanner). Pour autant, l’EE est toujours largement réalisée en raison de son faible coût et de sa large disponibilité, deux facteurs rappelés dans chaque itération de recommandation où elles sont mentionnées. Mais cet examen est-il aussi fiable que sa large utilisation le laisserait à penser ? Ou, dit autrement, sa pertinence clinique est-elle aussi importante que les cardiologues (mais aussi les autres médecins et les patients) le pensent ?
L’objectif de cette série de billets n’est pas de proposer un algorithme ou une prise en charge diagnostique de la maladie coronaire – cela nous emmènerait beaucoup trop loin dans la discussion et l’analyse de la littérature, et il existe par ailleurs des recommandations sur le sujet, que ce soit en Europe ou aux États-Unis – mais d’interroger la pertinence de cet examen (trop) largement pratiqué. En creux, on ne pourra cependant pas faire l’impasse de la discussion autour d’autres examens de la maladie coronaire, et notamment la scintigraphie myocardique également largement pratiquée.
En préambule, il faut rappeler que l’EE ne met pas en évidence une atteinte coronaire per se, mais des anomalies électriques secondaires à une ischémie myocardique, anomalies qui suggèrent indirectement la présence d’une atteinte coronaire significative. La différence n’est pas anodine ; l’ischémie n’est qu’un marqueur de la maladie coronaire, elle n’est pas un facteur de risque d’évènement clinique. La maladie coronaire ne se traduit pas systématiquement par une ischémie myocardique et encore moins systématiquement par une douleur thoracique d’allure angineuse ou une modification électrique, tout comme l’ischémie myocardique n’est pas forcément liée à une lésion d’une des grosses artères coronaires épicardiques (qui ne représentent que 10 à 20 % de l’ensemble du réseau coronaire). Il est tout a fait possible, voire fréquent, d’avoir un athérome coronaire asymptomatique. Dans le cadre de la maladie coronaire chronique, les traitements pharmacologiques et interventionnels efficaces pour corriger l’ischémie ne réduisent que peu – si ce n’est pas du tout – le risque cardiovasculaire (l’exemple caricatural étant celui de l’angioplastie coronaire dans la maladie coronaire stable), alors que les statines, qui n’ont pas d’effet direct sur l’ischémie, améliorent les évènements cliniques, en modifiant le processus de la maladie athérothrombotique. Il est admis depuis plus de 30 ans que les évènements coronaires aigus ne surviennent pas sur les lésions coronaires les plus sténosantes, mais dépendent d’autres caractéristiques de la plaque athéromateuse (composition du cœur lipidique, inflammation, épaisseur de la chape fibreuse, etc.). Des références plus approfondies sur le sujet peuvent être trouvées par exemple dans cet article ou dans celui-ci.
La discussion sur la pertinence et la place de l’EE (et plus largement sur la place des tests fonctionnels évaluant l’ischémie myocardique) revient donc à discuter d’une part de l’efficacité diagnostique de ces tests pour mettre en évidence une ischémie myocardique et, ce faisant, une atteinte coronaire significative et, d’autre part – voire surtout – si des adaptations thérapeutiques découlant de ces tests permettent in fine une amélioration du pronostic du patient.
La réalisation d’une EE dans la cadre de l’étude de la maladie coronaire peut participer de deux grands motifs, qui feront l’objet de plusieurs billets distincts pour faciliter la lecture.
- les épreuves d’effort de dépistage : réalisées chez les patients asymptomatiques, qu’ils soient en prévention primaire ou secondaire de maladie coronaire, à haut ou bas risque cardiovasculaire
- les épreuves d’effort diagnostiques : réalisées chez des patients nouvellement symptomatiques, notamment présentant une douleur thoracique, qu’ils soient ou non déjà identifiés comme coronariens [billets à venir]