REVIVED-BCIS2, énième remise en cause de l’angioplastie coronaire programmée

Un peu de contexte

Si l’angioplastie coronaire tient une place centrale dans la prise en charge de l’infarctus du myocarde, les choses sont moins claires dans la maladie coronaire chronique. Ou plutôt, il est clair qu’elle n’a pas une place majeure, et certainement pas aussi importante que l’activité de coronarographie et d’angioplastie programmée pourrait le laisser penser. Les études BARI-2D, COURAGE, ORBITA et ISCHEMIA (pour n’en citer que certaines) ont démontré de manière répétée et concordante que la prise en charge pharmacologique optimale initiale est suffisante, et que la revascularisation (pontage ou angioplastie) n’a de place – en dehors du cas particulier de l’atteinte significative du tronc commun – que chez les patients restant symptomatiques malgré le traitement pharmacologique bien conduit (sans oublier la prise en charge non pharmacologique, notamment la réadaptation). Par ailleurs, si revascularisation il doit avoir, les atteintes du troncs communs doivent être pontés (la controverse autour de l’étude EXCEL mériterait un résumé à elle seule), les atteintes tritronculaires également, tout comme les patients diabétiques, puisque dans ces cas le pontage fait mieux que l’angioplastie (voir également les résultats de l’étude FAME-3). Reste pour l’angioplastie les lésions coronaires simples des patients symptomatiques sous traitement optimal.

Mais tout ceci ne concerne que les patients ayant une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) normale, l’altération de la FEVG étant un critère d’exclusion dans toutes les grandes études randomisées menées dans le domaine de la revascularisation de la maladie coronaire chronique. La seule exception est l’étude STICHES, qui montre que le pontage permet d’améliorer le pronostic (mortalité toute cause) après un suivi médian de 9,8 ans. L’étude princeps (étude STICH) avec un suivi médian de 4,6 ans était neutre, en raison notamment d’un excès mortalité dans les 30 premiers jours dans le bras pontage.

La place de l’angioplastie dans les insuffisances cardiaques (IC) dites ischémiques, bien que largement réalisée, n’a jamais été évaluée dans un essai randomisé, notamment parce qu’il est évident pour tout le monde (…) que « ça marche », et que revasculariser par angioplastie une sténose coronaire serrée en cas de FEVG altérée, ne peut qu’être bénéfique (l’étude HEART qui posait la question de la pertinence de la revascularisation dans l’IC a dû être interrompue faute de recrutement : le bénéfice est tellement évident que les médecins n’ont pas voulu inclure des patients dans une étude où il pourrait ne pas y avoir d’angioplastie). Le muscle cardiaque ne se contracte pas bien, l’artère coronaire irradiant le territoire est sténosée, il est donc évident qu’en débouchant cette artère, les choses iront mieux. C’est en substance le rationnel qui a prévalu pendant quelques décennies, sans jamais être scientifiquement éprouvé (puisque ça « marche »). Pourtant, ni dans ISCHEMIA ni dans COURAGE l’ischémie n’identifiait un groupe de patients le plus à même de bénéficier d’une revascularisation. Dans ORBITA (seule étude en double aveugle, rappelons-le) en revanche, l’importante de l’ischémie en échographie de stress était corrélée au bénéfice symptomatique dans l’angioplastie. Dans STITCH, seule étude s’intéressant aux patients ayant une FEVG basse, la présence de viabilité était associée à une amélioration de la FEVG après pontage, mais sans que cette amélioration ne se traduise en amélioration de la survie.

L’étude REVIVED BCIS-2

Méthodologie

L’étude REVIVED BCIS-2 est une étude institutionnelle qui compare angioplastie associée au traitement pharmacologique optimisé vs traitement pharmacologique optimisé seul, chez des patients ayant une IC avec FEVG inférieure à 35% et une viabilité myocardique (per protocole, une revascularisation était possible en cas de syndrome coronarien aigu, d’arythmie sévère, d’aggravation de l’angor). Le rationnel de l’étude est qu’en l’absence de viabilité myocardique, il n’y aurait pas grand-chose à attendre d’une revascularisation car le myocarde ne récupérerait pas de fonction contractile, alors qu’au contraire, la présence de viabilité serait le gage d’une potentielle récupération post-angioplastie d’un myocarde hibernant. Le critère primaire de jugement comprend décès toutes causes et hospitalisations pour IC après un suivi de 2 ans au moins. Le critère secondaire majeur est l’évolution de la FEVG – évaluée de manière centralisée et en aveugle – au sixième et au douzième mois (avec la sortie d’hibernation du myocarde à la suite de la revascularisation, la fonction contractile et la FEVG devraient s’améliorer). L’essai est dimensionné pour détecter une baisse de 30% du critère primaire avec une population de 700 patients. Pour le critère secondaire, l’essai permettrait de mettre en évidence une différence de 4%. Pour mémoire, la significativité clinique d’un changement de FEVG est estimée habituellement à 5%.

Les patients étaient inclus s’ils avaient une FEVG inférieure à 35% (à au moins 4 semaines d’un infarctus) quels que soient les symptômes (ou l’absence de symptômes), une atteinte coronaire extensive (selon le British Cardiovascular Intervention Society Myocardial Jeopardy score), et une viabilité dans au moins 4 segments myocardiques (évaluée en IRM, échographie de stress, scintigraphie ou PET-scan). Etaient exclus les patients ayant un infarctus de moins de 4 semaines, une IC décompensée requérant un soutien inotrope, une intubation ou un assistance, un orage rythmique ou une atteinte valvulaire jugée d’indication chirurgicale (puisqu’en cas de chirurgie valvulaire, on réalise un éventuel pontage coronaire dans le même temps opératoire). L’atteinte du tronc commun n’était pas un critère d’exclusion, contrairement à la quasi totalité des études dans ce domaine. Un enregistrement des screenings a été prévu pour essayer d’évaluer le nombre de patients non inclus. En effet, dans COURAGE, certains patients n’ont pas été inclus dès lors que l’anatomie coronaire était connue, certains praticiens jugeant la revascularisation indispensable. Les inclure dans un essai où ils risquaient de ne pas être angioplastiés n’aurait alors pas été raisonnable ; ce qui s’est avéré faux. C’est la raison pour laquelle l’anatomie coronaire a été évaluée en aveugle dans ISCHEMIA.

La revascularisation devait être la plus complète possible, sur la base de la sévérité angiographique des sténoses corrélées aux zones viables. Le traitement pharmacologique devait évidement comprendre bétabloquant, IEC, ARM, Sacubitril pour l’insuffisance cardiaque, statine et aspirine pour la maladie coronaire et double anti-agrégation dans le bras angioplastie. Un comité mettait régulièrement à jour le plan de prise en charge pharmacologique de l’IC sur la base des dernières données publiées, afin d’assurer une prise en charge optimale des patients dans le groupe contrôle. L’objectif est d’éviter d’avoir un essai positif parce que les patients du groupe contrôle ne sont pas traités correctement. Ce sujet est déjà évoqué en oncologie depuis quelques années ; en cardiologie on peut citer le problème de l’essai COAPT dans lequel le groupe contrôle pharmacologique ne devait pas (sic) être optimisé… Même si l’implantation d’un défibrillateur n’était pas obligatoire, la majorité des patients devrait y être éligible (puisque l’indication concerne les patients symptomatiques avec une FEVG inférieure à 35%, notamment dans les cardiopathies ischémiques). Pour les patients ayant une IC de novo, le traitement pharmacologique devait être initié et titré aux doses maximales avant la randomisation.

Résultats

Le suivi médian est de 41 mois. La population est typique des patients porteurs d’une cardiopathie ischémique : des hommes (87%) d’âge moyen de 70 ans, avec une FEVG moyenne de 27%. 50% de la population a un antécédent d’infarctus du myocarde. Les patients sont assez peu symptomatiques : 77% sont en classe I ou II de la NYHA,  66% n’a pas d’angor et le NT-proBNP médian est de 1.400 pg/ml (1.600 pg/ml dans PARADIGM et dans DAPA-HF, 1.900 pg/ml EMPEROR-reduced). Sur le plan coronaire, 50% des patients a une atteinte bitronculaire, 40% une atteinte tritronculaire et un peu plus de 10% une lésion du tronc commun. Dans le groupe angioplastie, la revascularisation est complète à 80 % (valeur médiane ; moyenne 70%), avec en moyenne trois stents posés par procédure. 10% des patients du groupe « traitement médical » bénéficiera secondaire d’une revascularisation.

Le critère primaire survient de manière équivalente dans les deux groupes : 129 évènements (37,2%) dans le groupe angioplastie et 134 évènements (38,0%) dans le groupe pharmacologique (rapport de risque 0,99 ; IC95% 0,78-1,27 ; p=0.96). Il n’y a pas de différence en termes de mortalité totale, ou d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque, ni de différence dans aucun des sous-groupes étudiés. Notamment, le caractère plus ou moins complet de la revascularisation ne semble pas influer sur le pronostic (figure S4).

A 12 mois, l’amélioration de la FEVG est similaire dans les deux groupes, de même que le taux de NT-proBNP. On aurait pu penser qu’une revascularisation guidée par la viabilité se traduirait par une amélioration de la FEVG en « sortant le myocarde hibernant de sa torpeur ». De fait, la prise en charge pharmacologique optimale permet autant une amélioration de la FEVG sans qu’un geste invasif de revascularisation complémentaire n’apporte de bénéfice. En effet, après un an suivi, 95 % des patients sont sous bétabloquant, 55% sous ARM, 90% sous IEC/ARA2/SACUBITRIL, 89% sont traités par statine.

Décès toutes causes dans les grandes études randomisées dans l’IC à FEVG altérée (figure S9)

Le score de qualité de vie KCCQ est meilleur dans le groupe angioplastie à 6 mois et à 12 mois. Ce résultat était prévisible, puisque le groupe pharmacologique n’a pas eu de procédure sham, et qu’il ne bénéficie donc pas de l’effet placebo de l’acte d’angioplastie (j’en ai déjà parlé à plusieurs reprises, notamment ici). Le plus intéressant est que la différence de qualité de vie entre les deux groupes disparait à 2 ans. La même chose est observée dans d’autres études évaluant l’apport de l’angioplastie dans la maladie coronaire stable : dans COURAGE, le bénéfice symptomatique de la revascularisation disparait à 3 ans, à 2 ans dans BARI-2D, à 5 ans dans COMET-CTO, etc. En revanche, il n’y a pas de différence de classe NYHA ni à l’inclusion, ni à 6 mois, 12 ou 24 mois ; on peut arguer – à raison – qu’il est difficile de voire une amélioration des symptômes dans une cohorte assez peu symptomatique. Toujours du fait de l’absence d’aveugle et de procédure sham, il y a plus de revascularisations non programmées dans le groupe pharmacologique que dans le groupe angioplastie (10,5% vs 2,9% ; rapport de risque 0,27 ; IC95% 0,13–0,53) : Parce que patients et médecins savent qu’il y a des lésions coronaires (sinon les patients n’auraient pas été inclus), ils ont une pression à revasculariser des lésions connues en cas de symptômes.

A 5 ans, la mortalité totale est de 30-35%, cohérente avec les résultats des autres grandes études randomisées réalisées dans cette pathologie. C’est inférieur au taux de 50% de mortalité à 5 ans habituellement retrouvés dans les études observationnelles, reflet probablement de la qualité de la prise en charge pharmacologique (et peut être aussi un peu par effet Hawthorne).

Remarques et commentaires

La neutralité de REVIVED, c’est un échec supplémentaire pour l’angioplastie programmée dans la maladie coronaire stable, dans une population qui pourtant semblait la plus à même d’en bénéficier, puisque les patients recrutés devaient avoir une large zone hibernante qui récupèrerait (le pensait-on) grâce à la revascularisation. Ces résultats amènent plusieurs commentaires.

Dans une analyse en sous-groupe présentée en mars 2023 au congrès de l’American College of Cardiology (et à ma connaissance pas encore publiée), si l’étendue du tissu cicatriciel documentée en IRM ou échographie de stress était associée à la récupération de la FEVG et aux évènements cliniques (moins la cicatrice est étendue, meilleur est le pronostic), la viabilité n’a, elle, aucune influence sur les évènements ou la probabilité de récupération de la FEVG. Mais, de manière importante, ni l’étendue cicatricielle ni l’étendue de la viabilité ne sont prédictives d’un meilleur résultat de l’angioplastie coronaire, qui ne fait dans aucun sous-groupe mieux que le traitement pharmacologique optimisé. Ce résultat concorde avec celui de STITCH dont une étude ancillaire a montré que la présence d’une viabilité (en scintigraphie ou échographie de stress) était associée à une amélioration de la FEVG après pontage, mais sans être prédictive d’un meilleur résultat clinique, à court terme comme à long terme. Les concepts de viabilité et de myocarde hibernant n’ont-ils alors aucun rationnel physiopathologique ? Les outils utilisés pour les mesurer ne sont-ils pas adéquats ? L’amélioration de la FEVG après revascularisation est plutôt un argument pour dire que ces concepts sont pertinents, qu’il y a bien une partie du myocarde qui se met en sommeil en cas de diminution de la perfusion coronaire, et se « réveille » après restauration du flux sanguin. Mais la revascularisation ne traite qu’une conséquence focale d’une maladie diffuse qu’est l’athérosclérose, dont la prise en charge repose sur le traitement général, pharmacologique, seul à même d’améliorer le pronostic, tout comme elle ne traite pas l’hyperactivation neuro-hormonale sous-tendant l’IC. Par ailleurs, l’organisme va immanquablement développer un réseau coronaire collatéral pour contourner les sténoses opérantes, de sorte que la revascularisation peut ne revasculariser quelque chose qui n’a en fait plus de conséquence sur l’oxygénation cardiomyocytaire.

Ces résultats sont aussi un argument pour arrêter d’évaluer l’ischémie ou la viabilité myocardique de ces patients, puisque leur absence ou leur présence ne change pas la stratégie thérapeutique, en particulier en l’absence de modification des symptômes. C’est la présence de sténoses significatives coronaires (et donc l’imagerie coronaire anatomique) qui va éventuellement entrainer une adaptation thérapeutique en cas d’athérome sténosant, pharmacologique dans un premier temps, et chirurgicale éventuellement. L’étude PARR-2 publiée en 2016 avait d’ailleurs déjà souligné que le suivi par imagerie de stress n’apportait pas de bénéfice dans l’IC à FEVG altérée.

Dans un commentaire publié dans l’European Heart Journal (dont les auteurs sont soit de mauvaise foi soit totalement ignorants des conclusions à tirer des études cliniques réalisées en ouvert ; je ne sais pas ce qui est le pire), certains soulignent que l’angioplastie apporte quand même un bénéfice sur la réduction des infarctus spontanés – alors même que le nombre d’infarctus à la fin du suivi est le même dans les deux groupes – mais avec toujours le même sous entendu qu’il en serait des infarctus comme des chasseurs : les infarctus per-angioplastie seraient de bons infarctus au contraire des autres (antienne lue et entendue systématiquement en réponse aux résultats de COURAGE, ISCHEMIA, EXCEL, etc..) C’est par ailleurs méconnaitre totalement le problème de l’absence d’aveugle sur la prise en charge de patient coronarien ayant des lésions coronaires non revascularisées et dont j’ai parlé déjà un peu plus tôt dans ce billet. Je passe sur le sous-entendu qu’une assistance ventriculaire transitoire aurait pu améliorer les résultats du groupe angioplastie, alors même qu’aucune étude randomisée n’a jamais démontré l’efficacité de l’IMPELLA(r) et que le ballon de contre pulsion, qui ne fonctionne déjà pas en cas de choc cardiogénique, a peu de chance d’être efficace chez des patients hémodynamiquement stables. Quand au fait que la revascularisation tendrait à réduire les épisodes d’arythmie grave, il est battu en brèche par une étude ancillaire pré spécifiée tout juste publiée dans Circulation qui montre au contraire que l’angioplastie coronaire ne diminue en rien les épisodes de mort subite.

La présence ou non d’une atteinte du tronc commun n’entraine pas d’hétérogénéité de résultat pour le critère primaire. Jusqu’à maintenant, les lésions du tronc commun sont un critère habituel d’exclusion des essais comparant angioplastie et traitement pharmacologique dans la maladie coronaire stable, car on considère que la revascularisation de ces lésions doit être réalisée. Cette attitude se base sur les résultats d’essais maintenant anciens, d’une époque où le traitement pharmacologique n’était pas aussi efficace qu’aujourd’hui, notamment du fait de l’absence de statines avant le milieu des années 1990. Si REVIVED-BC2 ne montre pas de de différence de pronostic chez les patients ayant des lésions du tronc commun et une altération de la FEVG, entre angioplastie et traitement pharmacologique, ne doit-on pas envisager un essai randomisé comparant angioplastie et traitement pharmacologique en cas d’atteinte du tronc commun ? voire même comparant pontage et traitement pharmacologique ?

Conclusion

De fait, il serait vraiment temps que la place et le nombre d’angioplasties coronaires programmées soient sérieusement remises en cause.

L’angioplastie est fondamentale dans la prise en charge de l’infarctus du myocarde. En dehors de cette pathologie, sa place n’est pas nulle, mais certainement pas aussi importante que le nombre d’actes effectués chaque année en France (et ailleurs) le laisse penser. L’accumulation d’études neutres voire négatives (FAME-3 par exemple pour ne citer qu’une des dernières en date), devrait normalement amener une diminution majeure du nombre d’actes, si le seul bénéfice du patient entrait réellement en jeu.

Je ne suis cependant pas naïf sur ce qui continue de justifier autant d’actes inutiles, et donc in fine, dangereux. L’argent déboursé pour prendre en charge une procédure majoritairement inefficiente dans la maladie coronaire chronique, en dehors de cas particuliers, pourrait servir à d’autres soins.

Il est temps d’arrêter l’hypocrisie des « ce ne sont pas les bons malades, ni les bonnes lésions, ni les bonnes techniques ». Années après années, les résultats sont les mêmes, les excuses pour ne pas changer de pratique, aussi. Même certains cardiologue interventionnels le disent désormais, dans des congrès de cardiologie interventionnelle. Le nombre d’angioplasties réalisées par an par un centre ne devrait pas être un indicateur de qualité et de bonne pratique ; au contraire.

Une autre question se pose si, effectivement, le nombre d’angioplastie diminue dans les prochaines années, comme les données scientifiques devraient l’annoncer. Celle de la formation des cardiologues interventionnels.

2 réflexions au sujet de « REVIVED-BCIS2, énième remise en cause de l’angioplastie coronaire programmée »

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