Nouvelles recommandations de l’ESC pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque

Exemple de diapositive diffusé lors du congrès de la Heart Failure Association, montrant un algorithme de traitement incomplet.
Image aimablement fournie par @jeanlucvachiery

Avant de parler des recommandations elles-mêmes, un petit rappel des conditions dans lesquelles elles ont été rendue publiques. On s’attendait à ce que ces nouvelles recommandations pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque soit dévoilées lors du congrès 2021 de la Heart Failure Association s’est tenu en juillet dernier, en même temps qu’une publication dans l’European Heart Journal. Néanmoins nous n’avons eu le droit qu’à une présentation parcellaire avec des algorithmes incomplets, au cours de sessions de congrès sans replay. Tout ce cirque pour laisser la primeur des recommandations au congrès de l’European Society of Cardiology qui se tenait du 27 au 30 août.

Je suis très mal à l’aise avec cette évolution qui ferait des recommandations de pratique clinique un produit marketing comme un autre, dont on pourrait produire des portions incomplètes en avant-première comme la bande annonce d’un blockbuster hollywoodien. Ce d’autant que les 128 pages et 1000 références de ces recommandations se trouvent ainsi publiées en même temps que 3 autres recommandations (et non des moindres : stimulation cardiaque, prévention cardiovasculaire et pathologies valvulaires) et de la somme d’études importantes présentées lors de ce congrès. Il aurait été bien plus aisé d’en prendre connaissance et de se les approprier si elles avaient été publiées au début de l’été…

Il n’est pas question ici de reprendre de bout en bout ces recommandations que vous pouvez lire ici, mais de souligner quelques points que je trouve intéressants ou qui ont évolué par rapport à celles de 2016. La partie « diagnostic » n’a pas énormément changé. Le diagnostic de l’insuffisance cardiaque n’a évidemment pas évolué outre mesure en 5 ans, l’échocardiographie restant la pierre angulaire. Je note néanmoins que la coronarographie recule un peu en terme de niveau de preuve (passant de IIa à IIb), au profit du scanner coronaire pour les patients dont la probabilité pré-test de maladie coronaire n’est pas élevée. On retrouve toujours la distinction entre IC à FEVG réduite (< 40%), FEVG préservée (> 50%) et FEVG modérément réduite (41-49%) (qui remplace le terme d’IC à FEVG intermédiaire) en dépit des interrogations persistantes sur la pertinence d’une telle différentiation.

Insuffisance cardiaque à FEVG altérée

Traitement pharmacologique

L’une des principales inconnues de ces recommandations était la séquence du traitement pharmacologique de l’IC à FEVG altérée. Les dernières années ont en effet vu la démonstration de l’efficacité des gliflozines et du SACUBITRIL. Nous avons désormais 5 classes ayant démontré une efficacité sur la mortalité : inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC) (ou antagoniste des récepteurs de l’angiotensine 2 (ARA2) en cas d’intolérance), bétabloquant (BB), antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM), sacubitril/valsartan (S/V) (seul représentant de la famille des angiontensin receptor neprilysin inhibitor – ARNi) et antagoniste du SGLT2 (SGLT2-i). La question était de savoir quel ordre d’initiation de ces traitements serait préconisé. Faut-il associer d’emblée 4 classes thérapeutiques (BB+IEC+ARM+SGLT2-i) ? Faut-il d’emblée utiliser le S/V sans passer par un étape sous IEC (j’ai donné mon avis sur ce sujet ici) ? Faut-il commencer par une association classique BB+IEC+ARM avant de réfléchir à l’étape suivante ? Finalement, et contrairement à ce que j’ai crains, les auteurs suivent les données publiées au cours des dernières années et décennies, et les appels de certains KOL (Key Opinion Leaders) qui voulaient notamment se passer des IEC pour commencer d’emblée par le S/V. La séquence proposée est

  1. Débuter par le triptyque BB+IEC+ARM. Les ARM sont trop souvent négligés en dépit des données de RALES, EMPHASIS ou EPHESUS. Contrairement aux recommandations précédentes, ils sont désormais préconisés d’emblée sans atteindre la titration complète des BB et IEC.
  2. Passer au S/V en remplacement des IEC si le patient reste symptomatique sous le triptyque de base. C’est exactement ce que je concluais dans mon billet précédent. Le texte précise qu’il est possible de mettre le S/V d’emblée, mais cette possibilité n’est même pas évoquée dans le tableau de synthèse et affublée d’un niveau de recommandation très faible (IIb-B)
  3. L’ajout d’un SGLT2-i est indiqué chez les patients déjà sous IEC/ARNI+BB+ARM. Les auteurs ne sont cependant pas clairs sur le fait de savoir si le patient doit être symptomatique ou pas pour ajouter ce traitement. Puisque les études DAPA-HF et EMPEROR-Reduced ont été conduites chez des patients symptomatiques, mon avis est le même que pour le S/V : nous avons des études bien faites et positives, réalisées chez des patients sous traitement par BB+IEC+/-ARM et toujours symptomatiques, il n’y a donc pas de raison de s’écarter de ces critères d’inclusion pour utiliser ces molécules. Pourquoi rajouter de la DAPAGLIFOZINE à un patient asymptomatique et avec un BNP normal sous BB+IEC+ARM ?
IEC et bétabloquants recommandés en 2021 pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque chronique

J’attire l’attention du lecteur sur les IEC recommandés pour la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (tableau ci-contre). Comme en 2016, le PERINDOPRIL ne fait pas parti des molécules car il n’y a pas d’étude dans cette population, ce dont je parlais déjà en 2019, ainsi que de la limite à apporter à l’usage du LISINOPRIL. De même, seuls 4 bétabloquants fonctionnent dans l’IC à FEVG altérée, et aucun autre ne doit être utilisé. Attention aussi au fait que si le METOPROLOL SUCCINATE fonctionne, le METOPROLOL TARTRATE n’a pas montré d’efficacité (utilisez le SELOZOK et pas le SELOKEN !).

Je ne m’étendrais pas ici sur les autres molécules (IVABRADINE, HYDRALAZINE/ISOSORBIDE, VERICIGUAT) dont place reste limitée. La question de la digoxine mériterait un billet propre tellement elle fait l’objet d’études aux résultats divergents. Je rappellerai juste que les IEC et les BB ont démontré leur efficacité dans des études dans lesquelles beaucoup de patients était déjà sous digoxine. L’AMIODARONE n’a toujours aucune place au long cours du fait de ses effets secondaire et de son absence d’effet clinique.

Traitements électriques

Prise en charge de l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée (en vert les recommandations de classe I, en jaune les recommandations de classe II)

Le chapitre sur les traitements électriques (défibrillateur, pacemaker, resynchronisation) ne contient pas de grande évolution en termes d’indication. Le défibrillateur est indiqué chez les patients symptomatiques avec une FEVG inférieure à 35% après 3 mois de traitement optimal ; le texte néanmoins abaisse à IIa-A (contre I-A) le niveau de recommandation pour les cardiopathies non-ischémiques, en raison des résultats de l’étude DANISH.

La question la plus intéressante est en fait de savoir ce qu’est un « patient symptomatique malgré un traitement pharmacologique optimal » à qui le traitement électrique doit être proposé. En 2021, dans ce texte, c’est un patient sous ARNi+BB+ARM+SGLT2i. Néanmoins les études ont été faites chez des patients sous IEC+BB, et éventuellement ARM. Quelle est alors l’efficacité des défibrillateurs et de la resynchronisation chez un patient sous quadrithérapie moderne ? La différence d’efficacité selon les type de cardiopathie que dessine DANISH s’accentue-t-elle sous traitement moderne ? Comment vont évoluer les patients avec un traitement électrique dont le traitement pharmacologique va être optimisé avec l’arrivée des gliflozines ?

Insuffisances cardiaques à FEVG non-altérée

La partie sur l’IC à FEVG modérément réduite tient en une page et se limite à dire qu’on n’a actuellement aucune données probantes pour guider la prise en charge. BB, IEC, ARA2, ARM ou S/V peuvent être utilisés en fonction des autres pathologies des patients.

L’insuffisance cardiaque à FEVG préservée n’est guère mieux lotie avec 3 pages de textes et tableaux, mais c’est déjà bien plus qu’en 2016 où cette pathologie tenait sur une demi-colonne. Là encore rien à proposer de probant en terme de traitement de fond, les auteurs discutant la place du S/V suite à l’étude PARAGON (j’en parlais ici) ou la SPIRONOLACTONE après TOPCAT (traitement qui a ma préférence pour des considération physiopathologiques et méthodologiques qu’il serait trop long de détailler).

Suivi des patients

Les recommandations dans ce contexte reposent sur des niveaux de preuve faible. Les auteurs proposent un suivi biannuel pour les patients stables et un ECG annuel de principe pour s’assurer de la largeur des QRS et discuter une éventuelle resynchronisation. Les échocardiographie systématiques et répétées sont déconseillées. de même que le suivi des peptides natriurétique : arrêtons les échographie systématiques biannuelle « pour voir l’évolution ». L’échographie se justifie en cas de symptomes, mais surtout 3 à 6 mois après une optimisation thérapeutique pour réfléchir à l’étape suivante de la prise en charge.

Les patients les plus stables peuvent probablement se contenter d’une visite annuelle, surtout s’ils ont suivi un programme d’éducation thérapeutique. La participation à un tel programme est d’ailleurs une recommandation de clase I-A, aussi forte que pour les traitements par BB, IEC, ARM etc. Pourtant la vaste majorité des patients ne bénéficient pas d’une telle éducation thérapeutique.

Insuffisance cardiaque aiguë

Prise en charge diurétique de l’insuffisance cardiaque aiguë

Rien de bien neuf dans ce chapitre non plus. On notera que les opioïdes ne sont plus recommandés pour soulager la dyspnée (recommandation qui m’avait toujours étonné). Un algorithme est proposé pour le traitement diurétique, reprenant les principes d’un papier de consensus publié il y a quelques mois. Les auteurs rappellent l’importance d’optimiser le traitement de fond au cours de l’hospitalisation et de préparer la sortie pour diminuer le risque de réhospitalisation. Il est aussi rappelé de ne pas arrêter les bétabloquants autant que possible (étonnant d’ailleurs que l‘étude B-CONVINCED ne soit pas citée).

Fibrillation atriale

Premier élément rappelé dans les recommandations : la correction de la congestion augmente la probabilité de retour spontané en rythme sinusal. Avant de se ruer sur la seringue d’AMIODARONE, laisser le temps au traitement diurétique d’agir. Comme dans la fibrillation atriale chronique, la prise en charge des facteurs métaboliques est la meilleure façon de maitriser le rythme. Les auteurs rappellent par ailleurs l’absence de place pour les traitements antiarythmiques, et l’indication de l’ablation, limitée à des populations très sélectionnées en raison des faiblesse méthodologiques des études actuellement disponibles

Conclusion

Je suis agréablement surpris par la vision critique apportée par les auteurs aux données publiées au cours des 5 dernières années. A plusieurs moments les propositions sont très Medical Conservative (il faudra vraiment trouver un équivalent français…), évitant les raccourcis méthodlogiques pour s’en tenir aux données publiées (place su S/V, place de l’ablation de fibrillation atriale ou de la revascularisation myocardique sont les trois éléments les plus notables).

Elles seront analysées sous toutes les coutures dans les prochaines semaines. Déjà des études publiées pendant l’ESC viennent lever certaines interrogations mentionnées dans le texte. Au delà de ce que j’ai écrit ici, elles sont encore longues et abordent un vaste ensemble de comorbidités qui relèvent essentiellement du champs des spécialistes en insuffisance cardiaque. Je vous invitent cependant à aller voir les supplementary materials qui contiennent des guide de prescription et d’usage des principales classes thérapeutiques.

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