Mise à Jour des Recommandations de Prise en Charge de l’Hypertension Artérielle 2024 – partie 1 : diagnostic

Ces recommandations viennent mettre à jour celles publiées en 2018. Depuis 2003, les recommandations concernant la prise en charge de l’hypertension artérielle (HTA) étaient publiées conjointement avec la société européenne d’hypertension (ESH). Mais des querelles d’égo entre les deux organisations ont conduit l’ESH à publier ses propres recommandations en 2023. L’ESC a donc publié les siennes à l’occasion de son congrès annuel qui s’est tenu à Londres du 30 août au 2 septembre 2024. Le document fait 107 pages et un milliers de références, auxquelles s’ajoutent 38 pages et 500 références de supplementary data. J’étais parti pour en faire une synthèse pratique (et courte…) comme je l’avais fait en 2022 pour les recommandations sur l’évaluation cardiologique per-opératoire, mais la lecture a fait ressortir des sujets que je trouve problématiques et qu’il me semble également important d’aborder.

Compte tenu de la longueur du propos (on ne se refait pas), j’ai scindé le texte en deux parties. Cette première partie aborde la diagnostic et la définition de l’HTA ; la deuxième partie portant principalement sur le traitement sera mis en ligne à la fin du mois de septembre. De fait, afin de ne pas allonger un texte déjà conséquent, je ne parlerai pas de la prise en charge de l’HTA secondaire, de la dénervation rénale qui est – fort heureusement – affublée d’un faible niveau de recommandation (en l’absence de toutes nouvelles données de qualité sur l’éventuelle diminution des évènements cardiovasculaires à long terme depuis l’étude SIMPLICITY-3), ou encore des cas particuliers comme la femme enceinte ou les urgences hypertensives. J’aborderai néanmoins le cas des patients âgés dans la deuxième partie.

Mesure de la pression artérielle

Une emphase est mise tout au long du document sur la place prépondérante que doit avoir la mesure de pression artérielle à domicile, que ce soit par automesure ou par Holter tensionnel (Holter étant le nom de l’inventeur de la technique, il prend toujours une majuscule) ; les auteurs ne prennent pas partie pour l’une ou l’autre méthodes qui ont chacune leurs avantages et inconvénients. Cette mesure ambulatoire est fondamentale pour la confirmation du diagnostic. Elle est aussi encouragée pour suivre l’efficacité de la prise en charge (pharmacologique ou non) ; je dois cependant rappeler que toutes les études d’intervention se sont toujours basées sur les mesures de pression « de consultation » pour adapter les traitements antihypertenseur à l’étude. Partant, bien qu’elle soit parfois perçue comme l’étendard d’une consultation de qualité, la mesure de la pression artérielle au cabinet a de moins en moins de place (surtout si elle est faite n’importe comment) ; chez le patient hypertendu connu et stable, l’automesure fait foi, bien plus que la mesure de consultation.

La prise de tension en consultation sert avant tout au dépistage de l’HTA, mais le diagnostic de l’HTA ne repose pas sur les mesures de pressions artérielles en consultation. Ce n’est pas nouveau en 2024, et pourtant toutes les semaines je vois des patients adressés par leur médecin généraliste pour HTA de novo, parfois déjà mis sous traitement, alors qu’il n’y a eu qu’une ou deux mesures faites à la va-vite en consultation, et chez qui le diagnostic sera parfois infirmé par mesure ambulatoire. L’HTA est une maladie chronique qui impose un traitement prolongé – si ce n’est à vie ; on peut (doit) donc prendre quelques jours pour poser le diagnostic correctement. Toute suspicion d’HTA doit impérativement être confirmée par de nouvelles prises de pression artérielle, préférentiellement par des mesures ambulatoires (automesure ou Holter), dans le mois qui suit en cas de pression artérielle supérieure à 160/100 mmHg, dans la semaine si possible en cas de pression artérielle supérieure 180/110 mmHg (entendu qu’il n’y ait pas d’urgence hypertensive). En l’absence d’HTA, un contrôle de la pression artérielle est recommandée au moins une fois tous les trois ans avant 40 ans, au moins une fois par an après 40 ans. Ces mesures « de bon sens » ne devraient pas être délétère en termes de surdiagnostic et de surtraitement si la pression artérielle est mesurée correctement ; sauf si on en arrive dans le délire de la pression artérielle élevée sans hypertension artérielle (voir plus bas).

Il est donc important d’encourager tous les patients hypertendus à acquérir un tensiomètre validé, en insistant sur l’importance d’une prise de tension au bras et non au poignet. Un appareil de plus de 4 ans devrait être contrôlé/recalibré/changé. Les nouveaux appareils cuffless (sans brassard) ne sont pas fiables et ne doivent pas être utilisés ; il en est de même des mesures données par les montres connectées. Cette prépondérance de l’automesure impose de s’assurer de sa validité. C’est tout autant vrai pour la prise de pression en consultation souvent réalisée chez un patient pas totalement au repos, en position couchée et en discutant avec lui (que ce soit chez le médecin généraliste ou le cardiologue). En consultation également, la prise de tension automatisée est à préférer, le sphygmomanomètre manuel étant à réserver aux patients arythmiques (fibrillation atriale en particulier, mais aussi extrasystolie abondante) et aux patients enceintes.

Prise de pression artérielle en consultationAutomesures tensionnelles
Préférer une mesure automatisée (sauf arythmie et femme enceinte)Respecter les mêmes conditions de mesure que pour la prise de pression au cabinet
Patient en position assise et au repos depuis 5 minutesDeux mesures à 1-2 minutes d’intervalle
Brassard de taille adaptée
un brassard trop petit augmente la pression artérielle, un brassard trop grand la minimise
Une série de mesure le matin avant le petit-déjeuner et la prise des médicaments
Une série de mesure le soir
Bras soutenu et dos contre un dossierPendant 3 jours au moins, idéalement 7 jours
Deux pieds au sol et sans croiser les jambes
Ne pas parler ou faire parler le patient
3 mesures, chacune à 1-2 minutes d’intervalle, en faisant la moyenne des deux dernières ; ajouter des mesures si l’écart est supérieur à 10 mmHg
Mesurer au deux bras lors de la première consultation
Une différence supérieure à 10 mmHg doit inviter à confirmer l’écart par de nouvelles mesures
Rechercher une hypotension orthostatique à la première visite
Chute supérieure à 20/10 mmHg à 1 ou 3 minutes après 5 minutes de repos en position assise ou couchée
Comment bien mesurer la pression artérielle ?

Diagnostic de l’hypertension artérielle

Un point nouveau de ces recommandations est la disparition des différents grades d’HTA. Fini les HTA de grade 1, 2 ou 3, ce qui simplifie le discours et la prise en charge. L’HTA est définie – et nécessite une prise en charge pharmacologique et non-pharmacologique – par une pression artérielle de consultation supérieure à 140/90 mmHg, confirmée par une pression artérielle en automesure supérieure 135/85 mmHg. Que le patient ait 145, 155 ou 160 mmHg ne change rien à l’indication de prise en charge, même si évidemment le risque cardiovasculaire associé n’est pas le même. Si en 2021, E. Maeker et moi-même évoquions qu’après 60 ans, les données publiées n’étaient pas très robustes pour justifier d’initier une traitement avant 150/80 mmHg, même si quelques éléments pouvaient le justifier, l’ESH en 2023 (et l’ISH en 2020) place aussi le seuil d’initiation thérapeutique à 140/80 mmHg, avec un bémol pour les patients à faible risque cardiovasculaire (CV) sans atteinte d’organe cible. Chez ces patients, on peut se donner quelques semaines de règles hygiéno-diététiques (RHD) si la pression artérielle au diagnostic est inférieure à 150/90 mmHg.

Ce seuil unique pour le diagnostic et le traitement, fixé à 140/90 mmHg, me semble pour autant procéder d’une bonne idée pour simplifier le discours, y compris à l’échelle de la population, ainsi que le parcours de soin. A l’exception des patients les plus âgés (nous y reviendrons), les données des études d’intervention montrent qu’un traitement s’impose dès 150 mmHg pour l’ensemble de la population, quel que que soit le risque CV ou les dommages sur les organes cibles. Nul besoin de demander un avis cardiologique pour savoir si le risque CV ou l’éventuelle hypertrophie ventriculaire gauche justifieraient d’initier un traitement, puisque le traitement est indiqué de fait. Pour les patients dont la pression artérielle est entre 140 et 150 mmHg, le bénéfice d’un traitement antihypertenseur est bien documenté en cas de haut risque CV, et probable chez les patients à risque CV plus faible. Le risque de surtraitement ne semble donc pas majeur (si la pression artérielle a été, encore une fois, mesurée correctement, et le diagnostic confirmé par des mesures hors consultation), et ce choix peut permettre de lutter contre l’inertie thérapeutique bien documentée dans la prise en charge de l’HTA.

En dessous de 120/70 mmHg, les auteurs parlent de pression artérielle non élevée, et non pas de pression artérielle normale. Certes, le risque d’évènement CV augmente dès que la pression artérielle dépasse 100 mmHg, mais je vous laisse imaginer tous les facteurs confondants dans ce genre d’étude. Certes, le risque relatif d’évènements CV à une pression artérielle donnée est plus élevé chez les femmes que chez les hommes par rapport à une pression artérielle de 100 mmHg, mais le risque absolu est systématiquement inférieur.

La pression artérielle est une variable continue. La normalité de sa valeur est une construction arbitraire et artificielle, néanmoins indispensable à la pratique clinique quotidienne, décidée sur la base d’études épidémiologiques et surtout sur les résultats d’études d’intervention thérapeutique qui ont démontré l’intérêt du traitement. Qui peut honnêtement penser qu’une pression artérielle normale serait inférieure à 100 mmHg ? Quel est l’impact pour un patient que de parler de pression artérielle non élevée plutôt que de pression artérielle normale ? Et même, en quoi non élevé est-il foncièrement différent de normal ? Compte tenu de l’élévation naturelle de la pression artérielle avec l’avancée en âge, une pression artérielle de 140 mmHg à 80 ans est-elle normale ou non-élevée ?

Et pour 120-139/70-89 mmHg ? Les auteurs inventent encore une nouvelle dénomination : la pression artérielle élevée (sans HTA). Une pré-hypertension, en quelque sorte, mais en plus problématique.

Pression artérielle élevée (sans HTA), est-ce bien raisonnable ?

L’argumentaire des auteurs est que parmi les patients ayant une pression artérielle que d’aucun considéreraient comme normale non élevée (entre 120 et 139 mmHg), il existe des patients ayant un risque CV plus élevé que d’autre et qui justifieraient d’un traitement et que même avec une pression artérielle dans cet intervalle, un traitement apporte un bénéfice en terme de réduction des évènements CV.

Effectivement, les patients en prévention CV secondaire ou porteurs d’une maladie rénale chronique (MRC), sont à plus haut risque CV, et l’instauration d’un traitement à une pression artérielle inférieure à 140 mmHg (patients en prévention secondaire ou patients coronariens par exemple) permet de diminuer les évènements CV, sans effet sur la mortalité. Il est fort probable que ces patients auront tous un traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC), non pour son effet anti-hypertenseur, mais à visée cardio- ou néphroprotectrice.

Les auteurs parlent du diabète et de l’hypercholestérolémie familiale comme pathologies justifiant également d’une initiation plus précoce d’un traitement antihypertenseur, mais sans autre référence que des études observationnelles. Dans les deux cas il s’agit néanmoins de patients habituellement considérés comme à (très) haut risque CV. L’étude ACCORD avait inclus des patients diabétiques avec une pression artérielle moyenne initiale à 139 mmHg en l’absence de traitement, mais comparait deux cibles tensionnelles et non pas l’instauration ou non d’un traitement antihypertenseur. Une méta-analyse plus récente suggère qu’initier un traitement antihypertenseur aux patients diabétiques ayant une pression artérielle inférieure à 140 mmHg n’apporterait pas de bénéfice patent…

Si le patient ayant une pression artérielle entre 120 et 139 mmHg n’est pas en prévention secondaire CV, les auteurs proposent alors de s’appuyer sur l’estimation du risque CV au moyen des équations SCORE2, SCORE2-OP pour le sujet âgé (le calculateur officiel de l’ESC est disponible ici) et SCORE2-Diabetes pour les patients diabétiques (un calculateur ici). Pourtant, un éditorial accompagne cette dernière publication, rappelant que les scores de risque ne prennent pas l’ensemble du patient en compte, estiment un risque populationnel et aident à interpréter les données cliniques mais qu’aucune étude d’intervention n’a validé de prise en charge basée sur un score. Un score de prédiction n’est pas un score de décision. A ce compte là, comme le suggéraient cette étude ou celle-ci, puisque ceux avec le risque CV le plus faible ne voient pas une augmentation majeure de leur risque avec l’élévation de la pression artérielle, contrairement au patients à haut risque CV, pourquoi ne pas élargir la réflexion à l’ensemble de la prise en charge de l’HTA ? Estimer en premier lieu le risque CV pour décider d’administrer un traitement indépendant du niveau de pression artérielle ? Le fait est que le risque résiduel est d’autant plus élevé que le risque initial est élevé, indépendamment du niveau de pression artérielle obtenu grâce aux traitements. Ainsi, en ne proposant un traitement qu’aux patients ayant déjà un risque élevé, on priverait les patients à risque moindre du bénéfice documenté du traitement antihypertenseur.

Et si après l’utilisation des équations SCORE2, le patient n’est malgré tout pas éligible à un traitement anti-hypertenseur alors que sa pression artérielle est inférieure à 140 mmHg, il faudrait rechercher des facteurs modifiant le risque dont la liste est basée sur des études observationnelles (pathologies tensionnelles de la grossesse, maladies inflammatoires chroniques, ethnie du sud est asiatique, histoire familiale, VIH, etc.) – aucune étude d’intervention évidemment. Et si malgré tout ce n’est pas suffisant, on peut proposer au patient un score calcique (toujours aucune étude d’intervention pour valider cette recommandation), un bilan vasculaire à la recherche d’un athérome carotidien (encore un coup à finir avec de l’aspirine, sachant que l’USPSTF a conclu à l’absence d’intérêt d’un tel dépistage et que l’ISH dans ses recommandations de 2020 juge également que « son utilisation routinière n’est pas recommandée en dehors d’indications cliniques évidentes« ), voire même un dosage de troponine (parce que… pourquoi pas ; je ne sais même plus quoi écrire). A croire que les auteurs veulent à tout prix trouver des patients à mettre sous traitement… A la limite, je veux bien entendre le dosage de BNP comme élément d’orientation thérapeutique, sur la base de deux essais randomisés positifs mais qui ne sont même pas cités : PONTIAC chez les diabétiques et STOP-HF chez les patients ayant des facteurs de risque (dont 65% de patients traités pour de l’hypertension).

Je suis très surpris que l’une des justifications des auteurs soient que des études aient montré qu’une pression artérielle inférieure à 120 mmHg sous traitement est associée à moins d’évènements qu’une pression artérielle inférieure à 130 ou 140 mmHg. D’une part, dire qu’une cible inférieure à 120 est meilleure ne veut par dire qu’il faille traiter tous les patients dépassant 120 mmHg. D’autre part les références comprennent les études SPRINT et STEP dont je parlais ici, qui ont inclus des patients dont la pression artérielle initiale était supérieure à 140 mmHg (130 mmHg pour SPRINT à corriger de 10 mmHg en raison de la méthode de mesure) et déjà sous traitement antihypertenseur. La troisième étude, tout récemment publiée dans le Lancet, a inclus des patients en prévention secondaire ou à haut risque CV, avec une pression artérielle moyenne initiale de 146 mmHg … La seule étude qui irait en faveur de cette prise en charge serait une méta-analyse qui est loin d’être exempte de biais problématiques, l’un des principaux étant qu’une large proportion de patients avec pression artérielle initiale inférieure à 140 mmHg étaient déjà sous traitement antihypertenseur… D’autre part, HOPE-3 n’a pas démontré de bénéfice à traiter des patients à risque intermédiaire, ayant une pression artérielle initiale inférieure à 140 mmHg, tout comme cette méta-analyse.

Le plus étonnant, c’est que, semblant sortir de nulle part puisque jamais évoqué dans le texte (bien que reposant sur des données de la littérature que j’ai exposées), un peu plus loin, la limite de 130/80 mmHg fait son apparition comme borne inférieure pour envisager un traitement pharmacologique si les règles hygiéno-diététiques devaient être insuffisantes après 3 mois de prise en charge. Evidemment, si on se base sur ces recommandations, le nombre de patients éligibles à un traitement dépasse largement ce que la littérature nous apprend. On déduit également de ce tableau que les patients ayant une pression artérielle entre 120-129 mmHg ne relève que d’une prise en charge hygiéno-diététique.

Pourquoi alors avoir fait une catégorie aussi large, dénommée pression artérielle élevée, qui n’est justifiée par aucune donnée d’intervention et mélange des prises en charge totalement différente ? On aurait pu en rester à des choses simples et reposant sur des données validées :

  • supérieure à 140/80 mmHg : hypertension artérielle : indication thérapeutique pour tous les patients
  • 130-140 mmHg : indiction thérapeutique pour certains patients (mais certainement pas l’ensemble des catégories proposées par les auteurs)
  • inférieure à 130 mmHg : absence d’hypertension artérielle

Ce sont d’ailleurs les limites retenues par l’ESH et l’ISH

5 réflexions au sujet de « Mise à Jour des Recommandations de Prise en Charge de l’Hypertension Artérielle 2024 – partie 1 : diagnostic »

    1. Je ne sais pas comment travaillent ces personnes. La base de la base quand on analyse des études sur l’HTA c’est quand même
      1/ quelle est la PA d’inclusion 2/ quelle est la PA cible et la PA effectivement atteinte
      3/ les patients sont ils déjà sous traitement à l’entrée ou naïfs de prise en charge

      En dehors évidemment des questions habituelles sur la population, son âge et ses facteurs de risque

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