Associés aux digitaliques, les diurétiques ont été longtemps le seul traitement de l’insuffisance cardiaque. L’efficacité était modeste, la mortalité des patients présentant une insuffisance cardiaque congestive en stade IV de la NYHA atant alors de 45% à 6 mois (étude CONSENSUS). La conceptualisation de la théorie neuro-hormonale a permis d’importants progrès dans la compréhension et la prise en charge de l’insuffisance cardiaque (je vous renvoie aux billets sur les IEC si vous souhaitez en savoir plus), et la place des diurétiques aujourd’hui est avant tout basée sur leur nécessité plus que sur la preuve de leur efficacité. Ils restent essentiels en phase aiguë congestive, forme de la maladie au cours de laquelle il est admis que cette classe thérapeutique est bénéfique, alors que dans la phase chronique, c’est la dose minimale efficace qui est recherchée (voire pas de dose du tout). Pendant longtemps, nous n’avions à notre disposition que peu d’essais, le plus souvent de petite taille, pour nous guider. Ces derniers mois cependant, deux essais randomisés sont venus nous éclairer, ce qui me permet de revenir sur les données factuelles qui sous-tendent (ou pas) notre pratique quotidienne.
Ce billet est un diptyque avec un billet exposant la pharmacologie des différents diurétiques présentés ici. Ce deuxième billet est encore en cours de rédaction. Il est donc probable que certains concepts ne soient ici que sous-entendus, en attendant un développant plus long qui – je l’espère – ne tardera pas trop.
Insuffisance cardiaque chronique
Pharmacologiquement, le furosémide n’est pas nécessairement le diurétique le plus adapté par voie orale. Sa biodisponibilité est plus modeste que le bumétanide ou que le torsémide (non disponible en France). Sur la base de ces données pharmacologiques, le torsémide était jugé meilleur que le furosémide dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque chronique. Néanmoins, données pharmacologiques et efficacité clinique sont deux choses différentes. Quelques essais randomisés assez anciens (2001 et 2003) avaient comparé torsémide et furosémide, la méthodologie imparfaite et le faible effectif empêchant de statuer réellement sur la supériorité du torsémide. L’essai TRANSFORM HF (ToRsemide compArisoN with furoSemide FOR Management of Heart Failure), de bien plus grande taille (2800 patients contre 230 pour chacun des deux essais du début du siècle) a comparé l’efficacité clinique du torsémide et du furosémide, en ouvert, chez des patients sortant d’hospitalisation pour IC décompensée. Le critère de jugement primaire étant la mortalité totale, l’absence d’aveugle ne pose pas de soucis de subjectivité : un patient est mort ou vivant. On peut néanmoins objecter que la prise en charge globale peut être influencée quand les soignants connaissent le groupe d’allocation.
Les patients étaient inclus à l’occasion d’une hospitalisation s’ils avaient une FEVG inférieure à 40% (70% des patients) ou une la FEVG non altérée et un traitement ambulatoire diurétique préalablement à l’hospitalisation, et randomisés entre furosémide ou torsémide. La gestion du traitement était laissée à la discrétion des médecins habituels des patients (essai pragmatique), et le suivi des évènements assuré par contact téléphonique. La qualité de la prise en charge pharmacologique de l’IC à FEVG altérée à l’entrée dans l’étude n’est pas optimale : 80% de patients sous bétabloquant, à peine 66% de patients sous IEC/ARA2/ARNi et moins de 50% d’ARM. Ces chiffres, bien loin des chiffres habituellement observés dans les essais randomisés, peuvent tout autant s’expliquer parce que 30% des patients avaient une IC de novo (patients qui ne peuvent donc avoir d’emblé un traitement optimal), que par la réalité quotidienne de la prise en charge de cette maladie (les traitements recommandés sont sous-dosés et sous-utilisés).
Après un suivi médian de 17 mois, le critère primaire (mortalité toute cause) est similaire dans les deux groupes (26,1% vs 26,2 %, HR 1,02, IC95% 0,89-1,18, p=0,76), résultat similaire dans l’ensemble des populations et sous-groupes. Les hospitalisations à un an sont moins fréquentes sous torsémide, mais il s’agit d’une analyse post-hoc d’un critère secondaire, autant dire que c’est au mieux une idée pour un nouvel essai, au pire un artefact statistique. La dose moyenne de diurétique en sortie d’hospitalisation était de 80 mg, mais à un an, les patients du groupe torsémide ont un traitement diurétique plus intense que les patients du groupe furosémide (83 mg vs 61 mg d’équivalent furosémide ; eTable 6). Après 30 jours, 7% des patients ne prenaient plus de diurétiques, 9,5% à 6 mois, 13% à un an, sans différence selon la molécule. A noter une mortalité toutes causes à un an de 17%, correspondant aux données habituelles en post-hospitalisation, bon point pour la reproductibilité externe de l’étude.
Il est possible que le bénéfice (théorique) du torsémide se soit trouvé amoindri depuis les études des années 2000 avec la diffusion et l’amélioration du blocage neurohormonal (il n’y a avait par exemple peu ou pas de traitement bétabloquant dans l’étude de Murray et al ou de Müller et al). C’est particulièrement vrai pour le tiers de patients hospitalisés pour IC de novo, qui va bénéficier d’une optimisation thérapeutique (instauration de bétabloquants, IEC, ARM voire ARNi et SGLT2i) améliorant leur pronostic (phénomène compétitif) tout en diminuant leur besoin en diurétique. Néanmoins et plus certainement, c’est la pertinence du choix de la mortalité toute cause comme critère primaire qui doit être soulevée, critère primaire que même les études avec les SGLT2i n’ont pas choisi. Le rationnel était que le torsémide, contrairement au furosémide, aurait un effet modulateur du SRAA ; ce qui repose sur pas grand-chose en dehors de vœux pieux. Il est surprenant que les auteurs de TRANSFORM se soient basés sur une méta-analyse d’études de faible niveau pour déterminer la taille de leur étude, avec une baisse anticipée de la mortalité totale de 20% sous torsémide, soit un bénéfice équivalant à celui des IEC dans les premières études contre placébo. La taille de l’essai étant déterminé par le nombre d’évènements (event-driven), la puissance statistique est tout de même atteinte avec 750 décès toute cause dans l’essai, mais pour un nombre de patients 2 fois moins important que prévu initialement (2.859 contre 6.000 anticipés). Je ne pense pas qu’un seul spécialiste en IC estime que les diurétiques diminuent la mortalité totale en traitement au long cours, et à ce compte là espérer une différence entre deux molécules assez similaires relevait d’une gageure. Se pencher sur les réhospitalisations (et mieux encore, sur les décompensations cardiaque même sans hospitalisation, entité clinique trop souvent oubliée des études et des services hospitaliers…) aurait probablement été plus pertinent, mais cela aurait nécessité une étude en aveugle.
On voit donc que les données physiologiques et pharmacologiques ne permettent pas de prévoir la réalité de l’effet clinique d’une molécule. Un essai randomisé bien mené est la seule façon d’obtenir des informations fiables pour améliorer la prise en charge des patients. Il s’est passé exactement la même chose avec la chlorthalidone dans l’hypertension artérielle : ses propriétés pharmacologiques devaient lui assurer une meilleure efficacité clinique dans l’hypertension artérielle par rapport à l’hydrochlorothiazide, ce qui n’a pas été confirmé en essai randomisé. Dans l’insuffisance cardiaque chronique, il est bien possible que le type de diurétique de l’anse importe peu. Même si en raison de ses propriétés pharmacologiques, je préfère le bumétanide au furosémide dans ma pratique quotidienne, cela ne repose sur aucune donnée clinique, aucun essai robuste n’ayant jamais comparé furosémide et bumétanide. L’essai TRANSFORM montre que les différences pharmacologiques entre furosémide et torsémide n’ont pas de traduction clinique, et en l’absence d’un essai comparant furosémide et bumétanide, il n’y a probablement pas de raison de recommander une molécule plutôt que l’autre dans l’insuffisance cardiaque compensée, en dehors des préférences personnelles (pour mémoire, 1 mg de bumetanide correspond à 40 mg de furosémide, bien qu’en cas d’insuffisance rénale évoluée, l’équivalence soit probablement plus proche de 1 mg pour 20 mg).
Il est probable que dans un contexte de pathologie équilibrée, les différences pharmacologiques de biodisponibilité ou de vitesse d’absorbation n’aient que peu d’importance. Les praticiens vont adapter empiriquement la posologie du diurétique afin d’assurer le maintien d’un état euvolémique, selon le diurétique utilisé et le moment de la prise ; une ou deux heures de différence d’absorption n’ayant aucune traduction majeure en l’absence de congestion inhabituelle. Il est intéressant de relever que la dose de torsémide est finalement plus importante que la dose de furosémide après un an d’étude. Difficile d’y trouver une explication dans un étude sans aveugle : le torsémide a-t-il été donné aux patients les plus graves (10% de cross-over) ? les praticiens dosent-ils habituellement le torsémide plus que le furosémide ? est-ce le reflet d’un manque d’habitude du torsémide par rapport au furosémide ? ou le torsémide est-il en fait cliniquement moins efficace ?
Finalement, le point le plus important à rappeler est que dans l’IC chronique, il faut rechercher la dose minimale efficace de diurétique. Un traitement diurétique trop intense entraine hypovolémie, hypotension et hyperactivation du système rénine angiotensine aldostérone, ce qui peut empêcher l’augmentation des doses des traitements de fond de l’insuffisance cardiaque. Il est même tout à fait possible d’interrompre le traitement diurétique même chez des patients ayant un altération franche de la FEVG, pour autant que le traitement de fond soit à bonnes doses.
Insuffisance cardiaque aiguë décompensée
L’insuffisance cardiaque aiguë décompensée est une entité différente de l’insuffisance cardiaque chronique ; et si des essais ont démontré qu’il était possible d’arrêter le traitement diurétique en phase chronique, il est tout à fait improbable qu’un quelconque essai randomisé vienne un jour comparer diurétique et placebo en phase aiguë d’une insuffisance cardiaque. Cependant, malgré leur usage à la fois ancien et largement répondu, on ne sait pas à ce jour quelle est la stratégie thérapeutique la plus efficace : quelle est la meilleure modalité d’administration ? Quelle combinaison de diurétiques en cas de résistance au traitement initial ?
Essai DOSE
L’étude DOSE est un essai randomisé factoriel financé par le NIH, qui a étudié chez 308 patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque congestive, deux intensités et deux modes d’administration de traitement diurétique intraveineux par furosémide :
- faible dose : dose intraveineuse équivalente en milligramme à la dose habituellement prise à domicile. Les patients recevaient donc le double de leur dose habituelle.
- forte dose : dose intraveineuse correspondant à 2,5 fois la dose prise à domicile (soit, en terme de bioéquivalence, 5 fois leur dose habituelle).
- perfusion continue
- bolus toutes les douze heures
Dans tous les cas, le traitement diurétique pouvait être adapté selon la réponse clinique à la 48ème heure. Les cocritères primaires étaient un critère d’efficacité (évolution des symptomes) et un critère de sécurité (évolution de la fonction rénale) évalués à 72 h. Chez des patients ayant une insuffisance cardiaque déjà assez avancée (FEVG moyenne 35%, NT-proBNP moyen 7.500 pg/ml, dose moyenne de furosémide habituelle de 120 mg par jour, médiane de 80 mg par jour), la prise d’une forte dose de diurétique n’entraine pas d’amélioration du critère d’efficacité par rapport à une faible dose (bien que la p-value à 0,06 laisse à penser qu’une significativité statistique aurait peut être été obtenue avec un effectif plus important ; ou pas…) ni d’altération de la fonction rénale. Il n’y a pas non plus de différence entre perfusion continue et bolus biquotidien. Je passe sur les discussions autour de l’efficacité sur les critères secondaires, alors que l’essai est neutre, opportunément placée en premier dans la section des résultats. Les auteurs reconnaissent néanmoins eux même que ces analyses multiples de sous groupes ne permettent pas d’affirmer quoi que ce soit en raison des aléas statistiques. Il n’y a pas non plus de différence en termes d’évènements cliniques (décès, réhospitalisations, ou passage aux urgences) quelle que soit la stratégie thérapeutique, mais l’essai est de taille trop modeste pour détecter une différence sur ces éléments là.
Une (très) forte dose initiale n’est donc pas pertinente (le groupe haute dose a reçu une dose totale médiane de 780 mg de furosémide IV en 72 heures, contre 360 mg pour le groupe faible dose). Il est probable qu’il faille rattacher ceci au plateau pharmacologique d’efficacité du furosémide, aggravé encore par la résistance aux diurétiques habituelle chez les patients ayant une insuffisance cardiaque ancienne sous traitement diurétique au long cours. C’est notamment sur la base de ces données que la Heart Failure Association de l’ESC recommande dans son position paper sur le traitement diurétique en phase aiguë, de ne pas dépasser 500 mg de furosémide par voie intraveineuse par jour.
Puisqu’elle permettait de maintenir plus longtemps un taux efficace de diurétique tout en évitant un effet rebond de rétention sodée, la perfusion continue était jugée plus pertinente que les bolus itératifs. Si l’étude DOSE semble remettre en question ce paradigme en raison de l’absence de différence entre les deux modes d’administration, il faut cependant noter que le groupe recevant la perfusion continue n’avait pas de dose de charge, ce qui a pu retarder l’effet thérapeutique du diurétique en allongeant jusqu’à 20 heures le temps avant l’obtention d’une concentration d’équilibre. Dans l’essai CARRESS-HF (qui montre que l’intensification protocolisée du traitement diurétique est plus efficace que l’ultrafiltration dans l’insuffisance cardiaque décompensée résistante au traitement diurétique initial), le protocole repose sur un traitement intraveineux continu, précédé d’un bolus (et associé éventuellement à un diurétique thiazidique).
Essai ATHENA-HF
L’essai ATHENA-HF (Aldosterone Targeted Neurohormonal Combined with Natriuresis Therapy in Heart Failure) est un essai financé par le NIH, randomisé en double aveugle ayant inclus 360 patients présentant une insuffisance cardiaque aiguë décompensée, indépendamment de la FEVG (un quart des patients avait une FEVG supérieure à 45%). Les patients ayant un DFG inférieur à 30 ml/min/1,73m² ou une kaliémie supérieure à 5 mmol/l étaient exclus, de même que les patients sous forte dose de spironolactone à domicile (supérieure à 25 mg/j) – ce qui se comprend si on veut justement étudier l’effet d’une forte dose de spironolactone. Les patients étaient randomisés entre forte dose de spironolactone (100 mg) ou traitement habituel (25 mg de spironolactone pour ceux sous traitement chronique ou un placebo pour ceux qui n’avait pas de spironolactone en traitement de fond) dans les 24 heures suivant l’initiation d’un traitement diurétique intraveineux.
Le critère primaire (taux de NT-proBNP après 96 heures de traitement) n’est pas modifié (log changement NT-proBNP -0,55, IC95% -0,92 – 0,18 dans le groupe haute dose vs -0,49, IC95% -0,98 – -0,14 dans le groupe traitement habituel ; p = 0,57), de même qu’aucun des critères secondaires. La perte de poids (- 3 kg environs) et la diurèse (5,5 à 6,0 litres en 96 heures) sont similaires dans les deux groupes. De manière surprenante, aucun patient n’a présenté d’épisode d’hyperkaliémie, y compris dans le groupe haute dose. C’est le reflet d’une particulière sécurité des hautes doses de spironolactone… ou de l’absence d’effet du traitement. Les patients inclus n’ont pas d’insuffisance rénale notable (DFG moyen 56 ml/min/1,73m²), et il est donc possible qu’ils n’aient pas de résistance majeure aux diurétiques ni, de fait, d’un besoin de blocage néphronique séquentiel. L’autre explication de l’absence d’efficacité des hautes doses pourrait être plus pharmacologique, et tient au fait que la spironolactone est une prodrogue dont le métabolite actif est la canrenone (que vous connaissez peut être sous son nom commercial de Soludactone®) : juger de l’effet clinique après 96 heures de traitement par voie orale pourrait être prématuré. Il aurait été peut être plus pertinent d’évaluer le critère de jugement à J5 ou J6, ou alors de comparer faible et forte dose de canrénone intraveineuse, ou comparer spironolactone orale à canrénone intraveineuse. Pour mémoire, la finérénone ne requiert pas de métabolisation et pourrait être plus indiquée en phase aiguë.
Essai ADVOR
L’essai ADVOR (Acetazolamide in Decompensated Heart Failure with Volume Overload) est un essai institutionnel randomisé en double aveugle dont l’objectif était de déterminer si l’adjonction d’acétazolamide au traitement par diurétique de l’anse améliore la décongestion chez les patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque aiguë décompensée.
Un peu plus de 500 patients ont été inclus, ayant tous un traitement diurétique chronique à domicile (dose médiane à 60 mg de furosémide). L’acétazolamide (ou un placebo) était administré par voie intraveineuse à raison de 500 mg par jour jusqu’à décongestion, tandis que les diurétiques de l’anse étaient administrés par voie intraveineuse à raison du double de la dose habituellement prise par voie orale, répartie en deux injections quotidiennes. Le critère primaire de jugement était l’obtention d’une décongestion complète au 3ème jour de traitement, observée chez 42% des patients sous acétazolamide et 30,5% des patients sous placebo (RR 1,46, IC95% 1,17-1,82, p<0,001). L’efficacité est confirmée en fin d’hospitalisation (RR 1,27 IC95% 1,13-1,43), avec en outre une diminution de 10% de la durée d’hospitalisation (une journée en moyenne). L’efficacité de l’acétazolamide est indépendante de la FEVG initiale, bien que les patients ayant une IC à FEVG altérée ont une élévation plus importante, mais modeste, de la créatinine.
En pratique les patients traités par acétazolamide ont une natriurèse (468 vs 369 nmol/l à 48 heures) et une diurèse (4,6 vs 4,1 litres à 48 heures) plus élevées, entrainant une hospitalisation plus courte et une probabilité de décongestion complète plus importante, sans excès d’effets indésirables. Malgré une stratégie diurétique protocolisée, la décongestion complète en fin d’hospitalisation n’est obtenue que chez 62% des patients sous diurétique de l’anse seul et 78% des patients sous diurétique de l’anse et acétazolamide. La persistance d’une congestion en sortie d’hospitalisation est classiquement un facteur pronostic important de réhospitalisation et de décès (j’en parle ici). Pourtant il n’y a pas de différence sur le critère secondaire (mortalité et réhospitalisation à 3 mois) (29,7% vs 27,8% HR 1,07 IC95% 0,78-1,48) : en dépit d’une meilleure décongestion en phase aigue congestive, il n’y pas de bénéfice sur la mortalité ou les hospitalisations à distance. Il faut cependant moduler cette affirmation par le fait que la taille de l’essai ne permet pas de mettre en évidence un tel bénéfice clinique, avec seulement 70 décès à 3 mois. Mettre en évidence un bénéfice de 20% sur les décès tout cause nécessiterait un essai de 4000 patients…
Un point majeur du protocole est que les patients traités par gliflozine ne pouvaient pas être inclus dans l’étude. Ce choix peut paraitre étonnant alors que ces molécules sont désormais largement recommandées dans la prise en charge de l’IC, mais peut s’entendre dans le cadre précis d’une étude clinique : d’une part les deux classes thérapeutiques (SGLT2i et inhibiteur de l’anhydrase carbonique) ciblent le tube contourné proximal, et d’autre part les gliflozines n’étant pas disponibles pendant une grande partie de l’étude, les autoriser aurait créé un déséquilibre dans le protocole. De fait la généralisation de cette étude aux patients sous traitement par SGLT2i pose question, même si la proportion de sodium réabsorbé via le SGLT2 est globalement négligeable.
Et les gliflozines ?
En parlant des gliflozines justement, peut-on les considérer comme une solution pour le prise en charge de la congestion dans le conteste d’une insuffisance cardiaque décompensée ?
Dans l’étude SOLOIST, la sotagliflozine a bien démontré un bénéfice en cas d’insuffisance cardiaque décompensée, mais le traitement était introduit en fin d’hospitalisation voire dans les jours suivant la sortie. SOLOIST étudie donc l’instauration précoce d’un traitement de fond de l’insuffisance cardiaque, et pas un traitement de l’insuffisance cardiaque aiguë. Sans compter que seuls des patients diabétiques étaient inclus. De même, dans EMPULSE, étude également positive pour son critère primaire, l’empagliflozine devait être initiée au moins 24h après l’entrée en hospitalisation et chez des patients stabilisés ; la médiane d’initiation du traitement est d’ailleurs de 3 jours après le début d’hospitalisation. Là encore ce n’est pas un traitement de la phase aiguë qui est étudié, mais un traitement de fond initié précocement.
A ma connaissance, la seule étude randomisée étudiant la place d’une gliflozine comme traitement diurétique dans l’insuffisance cardiaque aiguë décompensée est l’étude EMPA-RESPONSE-AHF. Cette étude a inclus 80 patients, randomisés entre empagliflozine ou placébo, dans les 24 heures suivant l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque décompensées (quelque soit la FEVG, patients diabétiques ou non). L’adjonction d’empagliflozine ne modifie pas le critère primaire composite : la dyspnée, la diurèse normalisée par la dose de furosémide, la durée de séjour et le NT-proBNP sont similaires dans les deux groupes. Il n’y a pas non plus de signal négatif, puisque l’adjonction d’empagliflozine n’est pas associée à un surcroit d’évènement indésirable. Si l’adjonction d’empagliflozine permet une plus grande diurèse totale et une balance hydrique négative plus importante, la pertinence de ces données reste discutable en l’absence de recueil urinaire systématique et de protocolisation du traitement diurétique. En outre, la diurèse et la balance hydrique sont faiblement corrélées à la réalité de la décongestion, ce que cette étude illustre à nouveau, puisqu’il n’y a pas plus de perte pondérale dans le groupe empagliflozine.
Les diurétiques thiazidiques
Même si l’association classiquement utilisée comprend diurétique de l’anse et diurétique thiazidique, je ne vais pas m’étendre sur le sujet, car si elle est pertinente au plan pharmacologique, les données cliniques pour valider cette association ne dépassent pas 300 patients inclus dans des études majoritairement observationnelles et menées avant les années 2000 (voire TRES avant). Les rares essais randomisés sont de très petite taille (le plus grand comprend 40 patients), sans aveugle, et avec des critères de jugements biologiques comme l’importance de la natriurèse ou de la diurèse. Les résultats sont assez concordants puisque l’ajout d’un diurétique thiazidique à un traitement par diurétique de l’anse, permet d’augmenter la diurèse, de multiplier la natriurèse par 2 à 3, voire de faciliter la perte de poids (donc à priori la décongestion), au prix d’une hypokaliémie plus fréquente.
Les rares études ayant comparé les diurétiques thiazidiques entre eux (dont l’étude du BMJ de 1994) n’ont pas retrouvé de différence notable, laissant à passer qu’il existe un effet classe et que la molécule utilisée n’a guère d’importance. Contrairement à ce qui est parfois avancé, l’effet des thiazidiques se maintient même en cas d’insuffisance rénale avancée ; cette étude d’ailleurs montre que l’utilisation d’un diurétique de l’anse et d’un diurétique thiazidique à faible dose est plus efficace en terme de natriurèse qu’une forte dose de l’un des deux. Les diurétiques thiazidiques, permettent notamment de maintenir la diurèse au delà de l’effet plus court des diurétiques de l’anse du fait de leur durée d’action plus prolongée, mais également par leur effet propre sur la réabsorption sodée au niveau du tube contourné distal.
En pratique dans l’insuffisance cardiaque aiguë décompensée
Diurétiques de l’anse
Puisque la pharmacologie des différents diurétiques de l’anse est similaire en cas d’administration par voie intraveineuse, le choix de la molécule n’a donc guère d’importance, et le furosémide est en général utilisé, en pratique clinique comme dans les études ou les recommandations. La voie intraveineuse permet d’obtenir une action plus rapide que la voie orale et de s’affranchir des variabilités de biodisponibilité en lien notamment avec l’œdème intestinal.
La dose minimale habituellement recommandée est de 1 mg par voie intraveineuse pour 1 mg par voie orale (un patient ayant 80 mg de furosémide en traitement habituel à domicile devrait donc recevoir au moins 80 mg par voie intraveineuse) ; ce qui en pratique revient à doubler la dose habituelle. Chez un patient naïf de traitement diurétique, on peut débuter à 20 ou 40 mg par voie intraveineuse. A l’opposé, du fait du plafonnement du l’effet des diurétiques de l’anse, l’accroissement des doses perd de son utilité aux plus forts dosages. Hors cas particulier (notamment altération sévère du débit de filtration glomérulaire), si la dose de furosémide quotidienne administrée par voie intraveineuse doit dépasser 500 mg, il est probablement plus pertinent d’ajouter d’autres molécules afin de réaliser un blocage néphronique séquentiel que de continuer de majorer les doses.
Le bolus biquotidien ou la voie intraveineuse sont considérés comme équivalents suite aux résultats de l’essai DOSE. C’est probablement vrai pour beaucoup de patients. Je ne suis pas certain que ce soit le cas pour les patients ayant une résistance aux diurétiques (insuffisance cardiaque avancée, traitement diurétique ancien et/ou à fortes doses, insuffisance rénale), puisque dans ces cas là, les bolus peuvent ne pas permettre d’obtenir un concentration intra tubulaire suffisante de manière prolongée. L’administration continue est théoriquement pharmacologiquement plus efficace, si par ailleurs elle est précédée d’un bolus initial pour obtenir un taux sérique suffisant plus rapidement. Impossible cependant de l’affirmer sans un essai dédié similaire à l’essai DOSE qui comparerait bolus biquotidien et perfusion continue précédée d’un bolus.
blocage néphronique séquentiel
Plutôt qu’augmenter les doses de diurétique de l’anse, il vient un moment où l’association à d’autres diurétiques devient plus efficace en multipliant les cibles de blocage de la réabsorption sodée tout au long du néphron. Classiquement le blocage néphronique séquentiel associe furosémide et hydrochlorothiazide, mais aucune donnée clinique ne vient réellement valider cette association ; même si en pratique clinique quotidienne on a bien l’impression qu’elle est pertinente. Dans l’essai CARRESS-HF, l’adjonction de metolazone (un diurétique thiazidique) était prévue dès la dose de 240 mg/j de furosémide. La dose de métolazone proposée dans cette étude correspond à 50 mg d’hydrochlorothiazide une à deux fois par jour , ce qui semble particulièrement élevée et nécessite une surveillance attentive notamment de la kaliémie.
Un résultat intéressant mentionné par une étude observationnelle de 2005 est qu’une hypokaliémie avant l’initiation des diurétiques thiazidiques est associée à une moins bonne réponse au double blocage néphronique par thiazidique. Peut être parce que la résistance aux diurétiques de ces patients est liée à une réabsorption sodée au niveau du tube collecteur plutôt qu’au niveau du tube contourné distal. Dans ce contexte, l’adjonction d’un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes serait plus pertinente, et/ou la réalisation d’un triple blocage néphronique par furosémide + hydrochlorothiazide + spironolactone. Si la correction de la congestion est urgente, l’administration de l’ARM devra être faite par voie intraveineuse pour éviter d’attendre 48h à 72h son effet pharmacologique en cas de prise orale. La place de la finérénone dans ce contexte reste à étudier.
Mais la question de la molécule à associer au furosémide devrait-elle encore se poser ? On a désormais un essai randomisé contrôlé démontrant l’intérêt et l’efficacité de l’acétazolamide en association aux diurétiques de l’anse. Pour mémoire, les principaux critères d’exclusions était une pression artérielle inférieure à 90 mmHg, un DFG inférieur à 20 ml/min/1,73m². Il me semble difficile de proposer en première intention des traitements pour lesquels nous n’avons peu – voire pas – de données cliniques prospectives issues d’essai interventionnel. Pourquoi associer de l’hydrochlorothiazide dont l’efficacité clinique n’a pas été quantifiée quand on peut proposer de l’acétazolamide ? Il est fort probable à mon sens que la prochaine version des recommandations mettra l’acétazolamide comme traitement à privilégier à côté du furosémide. Les éventuelles prochains essais randomisés auront également du mal à ne pas proposer d’acétazolamide dans le protocole du bras contrôle.
Quant à la place des gliflozines pour le blocage néphronique, la question ne se pose à mon sens pas. La natriurèse induite par les gliflozines est probablement négligeable par rapport aux autres classes discutées ici, et le bénéfice des gliflozines dans l’insuffisance cardiaque ne relève pas de leur effet de diurèse majoritairement osmotique (quelques pistes de réflexions ici). Les gliflozines ne sont pas (sur la base des données disponibles à ce jour) un traitement de l’insuffisance cardiaque aiguë, mais un traitement de l’insuffisance cardiaque chronique qu’on peut débuter dans les premiers jours qui suivent une décompensation cardiaque, en pratique dès le patient stabilisé.
et chez les patients ambulatoires ?
On en arrive au point le plus épineux, qui concerne pourtant une grand nombre de médecins et de patients. Tous les patients qui décompensent une insuffisance cardiaque ne sont heureusement pas hospitalisés ; un certains nombre sont pris en charge en ambulatoire par des médecins généralistes et des cardiologues libéraux. Le traitement de ces épisodes congestifs est en général fait par voie orale. Et c’est là que la bât blesse, puisqu’il n’y absolument aucune étude prospective randomisée sur la prise en charge thérapeutique ambulatoire par voie orale de l’insuffisance cardiaque décompensée… On est donc obligé d’extrapoler les résultats des études faites avec le traitement par voie intraveineuse, extrapolations basées sur les différences pharmacologiques entre voie orale et voie intraveineuse.
Encore plus que dans l’insuffisance cardiaque compensée, ma préférence dans ce cas va au bumétanide dont la biodisponibilité n’est pas influencée par l’éventuel œdème intestinal. Je commence par 1 ou 2 mg de bumétanide (40-80 mg de furosémide) chez les patients naïfs de traitement diurétique, je double la dose chez les patients déjà sous traitement, et je change le furosémide pour du bumétanide au besoin. La réévaluation bioclinique est à prévoir dans la semaine. Chez les patients très congestifs, ou ne répondant pas aux diurétiques de l’anse, j’ajoute 25 mg d’hydrochlorothiazide et/ou 25 mg de spironolactone (en particulier en cas de tendance à l’hyponatrémie/hypokaliémie qui pourraient traduire un hyperaldostéronisme réactionnel) ; là encore une évaluation bioclinique rapprochée est indispensable mais assure une prise en charge optimale pour éviter l’hospitalisation pour décompensation cardiaque ; il faudra veiller cependant à ne pas revoir le patient trop tôt en cas de prescription de spironolactone. La question désormais posée est celle de la place de l’acétazolamide dans le prise en charge ambulatoire et par voie orale de l’insuffisance cardiaque décompensée. Avec une biodisponibilité de l’acétazolamide par voie orale de 70 à 90 % et une demi-vie de 4 à 8 heures, on peut proposer deux comprimés par jour de 250 mg pendant quelques jours, en plus du traitement par diurétique de l’anse. Je sais que certains confrères l’ont déjà fait, je n’en ai pas encore eu l’occasion.
Merci Florian pour cette très belle synthèse à la fois physiopathologico-pharmacologique et EBM…
Le Néphrologue praticien est heureux de s’instruire comme souvent à l’abreuvoir cardiologique et je note avec intérêt l’usage préférentiel en aigu du bunetamide et plus encore de l’acetazolamide…
Impatient de tester la chose dans la vie réelle…
L’occasion devrait vite se présenter…
Amitiés
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Ps: quid des effets secondaires de l’acetazolamide notamment sur le plan acido-basique chez des sujets exposés à l’alcalose de contraction?
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Dans le papier du NEJM d’ADVOR, il est écrit « Severe metabolic acidosis did not occur in any patient during the treatment phase ». J’en avais parlé avec W. Mullens lors de son passage à Strasbourg pour le congrès d’insuffisance cardiaque, ils n’ont à priori jamais eu de problème depuis qu’ils étudient l’acetazolamide dans cette indication.
A voir ce qu’il en est « dans la vraie vie » par rapport aux essais cliniques.
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Un énorme bravo pour cette synthèse très fouillée et très claire !
Je rebondis sur ta remarque concernant le défaut d’études prospectives solides concernant les diurétiques de l’anse pour traiter la congestion dans l’insuffisance cardiaque aigue, un écueil qui me sidère : en effet, en dehors de l’essai DOSE qui commence à dater et qui a inclus à peine 400 patients de mémoire (une broutille quand on connait la fréquence de cette situation en médecine aigue hospitalière), la littérature reste quasi désertique en dépit des nombreuses questions en suspens.
On n’a encore aucune réponse fiable à des questions complètement basiques qu’on se pose quotidiennement : quelle est l’efficacité réelle de la voie PO vs IV (en dehors des considérations théoriques relatives à l’oedème intestinal) ? Doit-on diminuer les doses pour obtenir une diurèse moins importante, comme le font la plupart des équipes, en dépit de la pharmacodynamie particulière des diurétiques de l’anse avec la relation dose/diurèse qui suit une sigmoïde et donc une loi du « tout ou rien » ? Quelle est la durée optimale entre deux bolus IV ? Quel est l’objectif d’hémoconcentration (on a que des données post hoc sur cette question, hyper biaisées) ? Pourquoi n’a-t-on pas conduit plus tôt d’essais séquentiels comportant de très vieilles molécules (HCTZ, spironolactone…), plutôt que de tâtonner encore à coups de recettes de cuisine ?
Ce qui manque en définitive, c’est une véritable protocolisation « evidence-based » de la déplétion en médecine aigue : on pourrait imaginer tester en cluster l’algorithme de l’ESC de 2019, versus d’autres protocoles ou l’absence de protocole.
Quant au traitement ambulatoire, comme tu le dis, c’est encore pire : je ne compte plus les cliniciens qui sautent au plafond quand on se permet d’arrêter le fameux « 1/2 comprimé de furosémide 20 mg au long cours, juste au cas où », alors qu’on a strictement aucune donnée prospective sur l’intérêt de cette prescription…
Il est malgré tout heureux qu’on ait droit dernièrement a des essais de grande ampleur sur ces vieilles molécules, c’est l’heureuse surprise des derniers congrès (je dois dire que c’est agréable de constater qu’on s’intéresse à autre chose que la seule hype des glifozines…), un signal d’espoir qui pourrait faire tache d’huile dans d’autres domaines.
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Tout à fait d’accord sur l’ensemble des points (notamment sur la hype des gliflozines qui monopolise présentations et articles au dépend d’autres éléments tout aussi – voire plus – importants). C’est un pan globalement ignoré de la recherche clinique moderne. Il y a de vieux papiers très intéressants au plan physio et pharmaco qui permettent de formaliser des hypothèses et de forger une réflexion (c’est aussi le cas avec les vieux papiers d’hémodynamique de Stevenson, Guyton, Sarnoff, etc…) mais pas d’essais cliniques modernes pour trancher des questions qui se posent pourtant tous les jours. La difficulté est évidemment que ces essais ne pourraient être qu’institutionnels pour des molécules génériquées de longue date. L’essai en cluster est une idée pratique mais la question du critère de jugement est cruciale ; un endpoint « décongestion » comme dans ADVOR semble pertinent mais pose la question de la gestion de l’aveugle…
Au plan ambulatoire, effectivement, la pseudo-sécurité psychique que représente pour certains praticiens le dernier milligramme de diurétique précieusement gardé sur l’ordonnance chronique est une plaie car elle empêche l’implémentation de thérapeutiques efficaces.
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Topo très intéressant et complet ! Un peu de teasing…Modestement, nous avons essayé de contribuer à la cause par l’étude PHRC-R ProDUCT-HF (CARRESS-HF Vs Standard) dont les résultats devraient être disponibles cette année. Bien (trop) peu de patients (à peine 300) mais sans doute des points d’intérêts pour affiner nos attitudes. A suivre…
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Super nouvelle ! 300 patients c’est pas mal pour un PHRC-R même si dans l’absolu un effectif plus grand serait une bonne chose. Il n’y a « que » 300 patients parce que les critères d’inclusions limitaient les inclusions ou parce que les médecins n’incluaient pas de patients ? (mon idée derrière est que certains sont convaincus de leur protocole diurétique et considère tout autre façon de faire comme une perte de chance – un peu comme il était difficile d’inclure dans ISCHEMIA parce que les praticiens étaient convaincu qu’il fallait un stent et ne voulait pas que leur patient soit dans le groupe sans stenting)
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Plutôt la deuxième proposition. Et sans doute un manque d’obédience pour cette problématique moins « sexy ».
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