Ceux qui me suivent en ligne ou me connaissent savent que je suis opposé à l’utilisation du scanner coronaire et du score calcique pour le dépistage de la maladie coronaire chronique chez les personnes asymptomatiques. Ce n’est pas que ces examens sont inefficaces, mais simplement qu’il n’existe à ce jour aucune étude prospective randomisée démontrant leur bénéfice dans ce contexte. Tant que nous n’avons pas la preuve de leur efficacité, nous ne devrions pas les utiliser. Cela peut sembler surprenant, mais c’est la règle pour les médicaments : on n’utilise pas à grande échelle un traitement qui n’a pas été évalué par un essai randomisé (sauf à Marseille, mais c’est une autre histoire). Il en va de même pour les tests diagnostiques ou les traitements invasifs.
Ce n’est pas parce que le dépistage de la maladie coronaire chronique devrait fonctionner que c’est effectivement le cas. Il est crucial de considérer les caractéristiques du test et la prévalence de la maladie dans la population (voir l’analyse biostatistique sur les tests d’effort de dépistage). Tout test génère à la fois des faux négatifs (patients qui sont privés d’un traitement qu’on aurait administré sans dépistage) et des faux positifs (patients exposés à un traitement inutile). De même, aucun traitement (statine et aspirine dans le cas présent) n’est jamais efficace à 100 %. Sans un essai randomisé testant la dite stratégie de dépistage, on ne sait rien de son efficience (voir aussi par exemple le dépistage de la fibrillation atriale).
Concernant le score calcique, si les études observationnelles associent score calcique supérieur à 400 et surrisque d’évènement cardiovasculaire, aucune étude d’intervention ne valide ce concept en démontrant qu’un traitement systématique de ces patients diminue le taux d’évènement. A l’autre bout du raisonnement, le power of zero du score calcique est remis en cause par des études qui montre jusqu’à 10% de faux négatifs ou encore qu’un quart à un tiers des évènements cardiovasculaires surviennent chez des patients ayant un score calcique nul. Eléments qui militeraient plutôt en faveur d’un traitement même des patients avec un score calcique nul ; ce qui diminue totalement l’intérêt du test. Une récente méta-analyse montre que la réévaluation du risque par score calcique est d’ailleurs plus souvent erronée que juste (un rapide calcul suggère que pour un patient correctement reclassifié, on reclassifie de manière erronée entre 1 et 38 patients).
Or donc, tout dubitatif de l’intérêt de l’examen que je sois, je vois passer dans ma boite de réception, ce 8 mars, le courriel de la table des matières du nouveau numéro du JAMA Cardiology, avec un article intitulé Effects of Combining Coronary Calcium Score With Treatment on Plaque Progression in Familial Coronary Artery Disease – A Randomized Clinical Trial (de son petit nom CAUGHT-CAD) ; accompagné non pas d’un, mais de deux éditoriaux. Les titres (Transforming the Cardiovascular Disease Prevention Paradigm – See Disease, Treat Disease et Filling the Evidence Gaps Toward a Coronary Artery Calcium-Guided Primary Prevention Strategy) laissent assez peu de place à l’ambiguïté quand au résultat final de l’étude CAUGHT-CAD. Serait-ce l’heure de revoir mon jugement ?
CAUGHT-CAD
L’étude CAUGHT-CAD visait à démontrer l’utilité du score calcique dans la prise en charge des patients asymptomatiques présentant un risque de maladie coronaire précoce, en raison d’antécédents familiaux de coronaropathie chez un parent au premier degré avant l’âge de 60 ans. Les participants ne devaient pas avoir de dyslipidémie nécessitant un traitement, ne devaient jamais avoir été traités par statines, et devaient avoir un risque cardiovasculaire intermédiaire (estimé par le calculateur de risque australien – l’étude a été en Australie). Un score calcique et un scanner coronaire étaient réalisés à tous les patients, mais les résultats leur étaient initialement inconnus. Les patients avec un score calcique très bas (<10) ou élevé (>400) ont été exclus. Les patients restants ont été répartis aléatoirement en deux groupes :

- Groupe contrôle : les patients ne voyaient pas les images, et ignoraient- tout comme le médecin traitant – les résultats des examens. Ces patients bénéficiaient d’une prise en charge standard des facteurs de risque par leur médecin traitant. Conformément aux critères d’inclusion et à leur niveau de risque, ils n’ont pas reçu de statines au début de l’étude (cinq patients s’en sont vus prescrire au cours du suivi).
- Groupe intervention: une infirmière montrait et expliquait les images du score calcique au patient. Ces patients recevaient tous une éducation sur la maladie coronaire et un traitement par atorvastatine 40 mg. Ils étaient suivis tous les six mois pendant les trois ans de l’étude, en plus du suivi habituel.
Sur les 1 091 patients dépistés, 591 (54 %) avaient un score calcique nul et 39 (4 %) un score calcique supérieur à 400. Finalement, 449 patients (âge moyen 57 ans, 57 % d’hommes, LDL-c moyen 1,30 g/l) ont été randomisés. Le score calcique moyen dans les deux groupes était de 64-72, le score calcique médian de 32-35 (la borne inférieure de l’intervalle interquartile à 6 et 9 selon le groupe laisse à penser que des patients ayant un score calcique inférieur à 10 ont bien été inclus, ce qui est contraire aux critères d’inclusion). Le risque cardiovasculaire estimé à 10 ans selon Framingham était de 6,6 %-7,2 % (L’ACC/AHA recommande d’initier un traitement par statine en prévention primaire lorsque le score dépasse 7,5 %).
En raison de l’attrition liée à des problèmes de réalisation de certains examens, la cohorte finalement étudiée après trois ans de suivi ne comptait que 365 patients, soit à peine un tiers de la cohorte initiale ayant réalisé un score calcique. Le LDL-c baisse à 0,79 g/l dans le groupe intervention après trois ans de suivi, et reste stable à 1,27 g/l dans le groupe contrôle. De plus, après trois années d’étude, le groupe contrôle présentait significativement plus d’hypertension que le groupe intervention (34,6 % contre 22,8 % ; p=0,02). Par conséquent, le risque cardiovasculaire estimé selon Framingham a augmenté de 7,2 % à 9,4 % dans le groupe témoin, tandis qu’il est resté stable à 7 % (contre 6,6 % initialement) dans le groupe intervention. Le critère primaire n’est pas un critère clinique, mais un critère scanographique : évolution du volume total de plaques d’athéromes coronaires. Ce volume total augmente dans les deux groupes, mais un peu moins vite dans le groupe intervention (+15 mm3 vs +25 mm3 ; p=0,009).
Beaucoup de bruit pour rien
En résumé : lorsqu’on sélectionne des patients à risque cardiovasculaire faible à modéré, ayant un score calcique très bas, qu’on tâche de maitriser leur risque cardiovasculaire en les suivant tous les six mois, en leur prescrivant des statines et en contrôlant leur hypertension, on ralenti la progression des plaques coronaires. Les défenseurs du score calcique affirment qu’il permettrait de reclassifier les patients à risque intermédiaire (cible d’inclusion dans cette étude) et affiner la détermination de leur risque cardiovasculaire. Le résultat « impressionnant » (si on suit les deux éditoriaux qui accompagnent l’article) de cette étude ne démontre rien de tout cela.
D’une part, le critère de jugement est un critère de substitution qui ne renseigne pas sur le risque d’événements coronariens. Ralentir la progression de la plaque ne signifie pas nécessairement réduire le nombre d’infarctus. Et même si le nombre d’infarctus diminue, cela ne garantit pas une réduction du risque de décès.
D’autre part, l’étude n’évalue pas l’apport du score calcique dans la prévention cardiovasculaire. Les deux groupes diffèrent dans la stratégie thérapeutique, mais pas dans l’évaluation du risque. On compare la prise de statines (et un meilleur suivi) par rapport à l’absence de traitement, et non pas décision thérapeutique basée sur le risque et le score calcique par rapport à la décision thérapeutique basée sur le seul risque, toutes choses égales par ailleurs. Pourquoi ne pas avoir randomisé tous les patients passés au scanner, entre un groupe « prise en charge habituelle sans connaissance des résultats du score calcique » et un groupe « prise en charge thérapeutique basée sur les résultats du score calcique » ? Par exemple : 0-100 pas de traitement, supérieur à 400 traitement, 100-400 discussion (ou traitement si on veut être maximaliste).
Je peux donc rester dubitatif. Ce n’est pas cette étude qui apporte des arguments fiables sur l’intérêt du score calcique. Elle démontre que donner des statines – et maitriser le risque cardiovasculaire – ralenti la progression de l’athérome coronaire. Ce qu’on sait depuis au moins 30 ans. Si malgré tout vous pensez que le score calcique peut apporter quelque chose à la prise en charge des patients, je vous recommande ce dernier papier du JAMA de la semaine : Coronary Artery Calcium Testing—Too Early, Too Late, Too Often, qui résume toutes les non-indications du score calcique. En attendant un jour un essai randomisé digne de ce nom, avec un critère de jugement cliniquement pertinent…

Merci pour cette analyse! C’est dingue l’emballement des éditoriaux.
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