Tirzepatide : non-inférieur à un traitement sous-optimal, et alors ?

Les agonistes du récepteur du glucagon-like peptide-1 (GLP-1) sont la nouvelle classe pharmacologique miracle, ayant démontré une efficacité dans la diminution des évènements cardiovasculaires chez les patients diabétiques (sémaglutide, liraglutide en 2016, dulaglutide en 2019), mais également (voire surtout pour le grand public) désormais connu pour leur efficacité dans l’obésité (liraglutide en 2015, sémaglutide en 2023). Les résultats sont plus critiquables dans l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée. Ils stimulent la sécrétion d’insuline de manière glucose-dépendante et inhibent celle du glucagon, réduisant ainsi l’hyperglycémie sans majorer le risque hypoglycémique. Ils ralentissent également la vidange gastrique et agissent au niveau des centres hypothalamiques de la satiété, contribuant à la perte pondérale.

Parmi les GLP1-a disponibles, le tirzepatide se distingue par sa double cible : récepteurs du GLP-1 et du polypeptide insulinotrope glucose-dépendant (GIP) (le rôle de ce dernier récepteur étant moins connu). En comparaison des autres GLP1-a, le tirzepatide permet un meilleur contrôle glycémique et du poids, et, partant, du bilan lipidique ou de la pression artérielle. Mais ce ne sont là que des critères de jugements intermédiaires, et non pas des évènements cliniques. Démontrer qu’il y a une amélioration d’un ou plusieurs de ces critères de substitution, ne signifie pas que les critères cliniques (infarctus, décès, etc…) sont également améliorés ; je vous renvoie à l’étude LIFE ou aux études sur les cibles de contrôle glycémique (ADVANCE, ACCORD, VADT).

Comme la place des GLP1-a dans le diabète est désormais validée sur la base d’études randomisées et qu’ils font partie des recommandations de bonne pratique dans la prise en charge du diabète de type 2 (voire même en première intention), il n’est plus possible pour un nouveau GLP1-a de faire une étude avec un bras sans GLP-1 pour démontrer son intérêt sur les évènements cliniques. Il lui faut donc démontrer au moins qu’il ne fait pas pire, par une étude de non infériorité. Comme le tirzepatide arrive un peu en retard, ses promoteurs ont lancé une étude pour démontrer qu’il ne faisait pas moins bien qu’un autre GLP1-a, le dulaglutide. Si le tirzepatide ne fait pas moins bien (il est non-inférieur) que le tirzepatide sur les évènements cliniques, il pourra espérer être commercialisé dans cette indication ; et s’il est non-inférieur, l’étude pourrait même alors suggérer voire démontrer une supériorité. Une telle étude tachant de démontrer la non infériorité du tirzepatide en comparaison du dulaglutide vient d’être publiée dans le « prestigieux » New England Journal Of Medicine.

Il y a de nombreux critères méthodologiques à vérifier quand on analyse une étude de non-infériorité ; la gymnastique intellectuelle est un peu plus ardue de prime abord que pour un essai de supériorité classique. Néanmoins, la base de l’honnêteté intellectuelle dans une étude de non-infériorité, est de prendre comme comparateur un traitement optimal, afin que la non-infériorité ne soit pas une perte de chance pour les patients. Si votre comparateur est un traitement sous-optimal ou sous-dosé, et que vous démontrez la non-infériorité, vous démontrez que votre traitement n’est pas plus mauvais qu’un traitement qui n’est pas bon ; et si par hasard vous arrivez à en démontrer la supériorité, votre traitement ne sera jamais meilleur que par rapport à un traitement pas optimal.

L’étude dont je parle (SURPASS-CVOT), portant sur plus de 13.000 patients diabétiques de type 2 (hémoglobine glyquée entre 7,5% et 10,5%) en surpoids (IMC supérieur à 25) et en prévention cardiovasculaire secondaire, suivis pendant une médiane de 4 ans, « démontre » que le tirzepatide est non inférieur au dulaglutide sur le critère combiné décès cardiovasculaire, accident vasculaire cérébral et infarctus du myocarde (12,2% sous tirzepatide vs 13,1% sous dulaglutide ; RR 0,92; IC95 0,83 – 1,01; p = 0,003 pour la non infériorité ; p= 0,09 pour la supériorité). Sauf que… le tirzepatide pouvait être majoré jusqu’à la dose maximale, alors que la dose de dulaglutide était fixée à 1,5 mg – pour une dose maximale possible de 4,5 mg ! On a donc un traitement à dose maximisée non inférieure à un traitement à dose non-optimisée.

Il n’est pas du tout certains que le tirzépatide aurait été non-inférieur face au dulaglutide à dose pleine. Il y a, par exemple, plus de patients sous metformine et sous sulfamide dans le bras dulaglutide : quel impact sur les évènements du bras dulaglutide de l’excès de prescription de ces molécules et notamment des sulfamides et de l’association sulfamide-metformine ? Notons que la perte de poids est plus importante sous tirzepatide (11% vs 4%), ce qui n’est pas étonnant compte tenu des études précédentes et de la différence de dosage entre les deux bras. Pour autant, cette perte de poids substantiellement plus importante, tout comme la baisse plus importante de l’HbA1c (6,73% vs 7,51%), ne se traduisent pas par un meilleur pronostic (on en revient à ce que j’écrivais plus haut sur les critères de substitution).

On a donc fait participer plus de 13.000 patients pendant plusieurs années à un essai mal pensé. On ne sera pas surpris de constater qu’Eli Lilly a conçu l’étude, réalisé l’analyse statistique initiale (!), a relu et suggéré des révisions du manuscrit (!!). Des autorités ont laissé faire cette étude. Des médecins ont validé et participé à la réalisation de cette étude. Des reviewers et des éditeurs ont avalisé cette publication. C’est scandaleux.

Rappelons que toujours, à la fin, ce sont les patients qui paient le prix de nos errements.

2 réflexions au sujet de « Tirzepatide : non-inférieur à un traitement sous-optimal, et alors ? »

  1. le tirzepatide ne fait donc pas mieux que le dulaglutide mal optimisé. Voilà la réelle conclusion de cette étude. À l’AHA à été présentée une analyse encore moins bien faite (!) sur le tirzepatide dont je t’épargne ici la conclusion fallacieuse.

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