
The automn ghost – How the Battle Against a Polio Epidemic Revolutionized Modern Medical Care. Par Hannah Wunsch. Editions Greystone Books,Canada. 360 pages. Environ 30 €
C’est bien la réalité du paradoxe vaccinal que de nous faire oublier les maladies disparues grâce aux vaccins. Et parce qu’elles ne sont plus visibles et qu’elles ne font plus peur, d’aucuns remettent en cause l’utilité des vaccins… Le dernier cas français autochtone de poliomyélite date de 1989, le dernier cas importé de 1995. L’insulte malheureuse des cours d’école de mon enfance, « être polio » (être maladroit, empoté) n’a probablement plus trop court chez les enfants du 21ème siècle. Avant d’ouvrir le livre de Hannah Wunsch, je n’avais en tête au sujet de la poliomyélite que les souvenirs de mes cours de maladies infectieuses en faculté de médecine : une maladie virale touchant le motoneurone, responsable de paralysie pouvant atteindre les muscles respiratoires et dont la récupération est incertaine. Et évidemment l’image des poumons d’acier, qui aidèrent des dizaines de malades à survivre ; bien que j’en estimais l’efficacité bien supérieure à ce qu’elle fût réellement. Cette ventilation à pression négative n’est pas le moyen le plus efficace d’aider un patient incapable de respirer seul ; mais après son invention en 1927, il a longtemps été le seul moyen – par ailleurs très rare en dehors des Etats-Unis – à disposition des médecins pour aider les patients atteints de paralysie respiratoire liée à la poliomyélite.
Ce n’est d’ailleurs pas un des moindre talent d’Hannah Wunsch que de retracer avec intérêt, au-delà de la seule année 1952, toute l’histoire (des hommes, des femmes et des inventions), qui a conduit de passer d’une maladie redoutée à une maladie presque éradiquée. Dans son livre The automn ghost, elle narre l’histoire de tous ceux qui ont fait face en 1952 à la pire épidémie que le Danemark ait connue. Les grands concepts médicaux sont parfaitement expliqués de sorte que même le plus profane pourra suivre et comprendre les progrès fulgurants qui seront fait en quelques semaines – si tant est que vous maitrisiez un peu l’anglais. Au milieu de ce qui fera l’Histoire de la médecine, elle nous narre parfois ce détail qui pique notre curiosité, la réalité quotidienne de celles et ceux qui étaient aux côtés des patients. Elle dresse avec acuité le portrait, sans faire de concession sur leurs travers et leurs défauts, de celles et ceux qui ont apporté à la fois leurs connaissances mais aussi leur dévouement aux soins des malades dont ils avaient la responsabilité.
Tout au long des 300 pages de l’ouvrage (auxquelles s’ajoutent une riche liste de références et un index bien fait), on (re)découvre ce que fut la réalité de la poliomyélite avant l’invention du vaccin. Une maladie qui nous semble lointaine voire disparue, mais qui était la première cause mondiale de handicap chez les enfants au début du 20ème siècle. A cette époque, les épidémies sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus sévères ; il y a au moins une grande épidémie quelque part dans le monde chaque année. Il est ironique de constater que c’est l’amélioration des conditions sanitaires qui semble avoir favorisé l’augmentation de la fréquence des formes paralytiques de poliomyélite. Le risque de forme grave augmente avec l’âge ; la moindre exposition des nourrissons et jeunes enfants au virus du fait de l’amélioration des conditions de vie, empêche la constitution d’une immunité et favorise une infection plus tardive et plus grave… La crainte du virus est amplifiée par l’ignorance de sa transmission (par voie aérodigestive, découverte en 1940), l’absence de vaccin (découvert en 1954 pour le vaccin à virus inactivé et 1961 pour le vaccin à virus atténué) et de traitement (et il n’y a à ce jour toujours aucun traitement curatif de la poliomyélite, seulement la prise en charge de ses conséquences). A la fin du printemps et au début de l’été, réapparaissaient chaque année des cas groupés de poliomyélite, sans qu’il ne soit possible de prédire ni où ni le nombre de cas et leur sévérité. « Fléau de l’été », la maladie planait comme une ombre sur les beaux jours.
Dans les pays scandinaves, le pic épidémique survenait en septembre et octobre. Alors que l’été déclinait, les parents attendaient inquiet de savoir où, quand et comment le fantôme de l’automne se glisserait dans les foyers pour emporter les enfants jusque là bien portants. C’est au Danemark, à Copenhague, qu’une des plus importante épidémie de poliomyélite va se produire. L’hôpital de Blegdam, qui prend en charge les maladies infectieuses, est submergé. Entre juillet et décembre 1952, 2.700 patients seront hospitalisés dont 360 rien que la dernière semaine d’août 1952 ; la moitié a une atteinte paralytique. Le pronostic des poliomyélites avec paralysie respiratoire est effroyable : 25% de mortalité en cas de paralysie des muscles du tronc, 95% de mortalité en cas d’atteinte du tronc cérébral. L’hôpital ne dispose que d’une seul poumon d’acier, alors que l’atteinte paralytique dure plusieurs semaines pour chaque patient. Le 25 août 1952, sur une idée de Björn Ibsen, jeune médecin d’une spécialité à peine naissante, l’anesthésie, une jeune fille de 12 ans, Vivi Ebert, en train de mourir d’une poliomyélite bulbaire, bénéficie à la fois d’une anesthésie générale et d’une trachéotomie pour pouvoir lui pousser dans les poumons l’air qu’elle ne peut plus inspirer. La ventilation à pression positive n’est pas nouvelle – elle a été inventée en 1939 – mais l’utiliser en conjonction à une anesthésie générale de longue durée en dehors du cadre opératoire est une révolution qui va être immédiatement validée par Henry Lassen, le chef de service, et généralisée à tous les patients souffrant de poliomyélite avec d’atteinte respiratoire. Mais les ventilateurs mécaniques n’existent pas en 1952… alors pour ventiler ces patients, ce sont des dizaines d’étudiants en médecine, qui, jour et nuit pendant des semaines, vont se relayer pour ventiler à la main les dizaines de patients. Le livre retrace les écueils techniques et humains auxquels cette ventilation longue durée manuelle doit faire face, mais aussi les liens qui se tissent entre les étudiants et les jeunes patients ventilés pendant des semaines. Vivi, Dan, Per, Lise, Niels, Bodil ou encore Rosa, autant d’enfants malades que nous rencontrons au fil des pages du livre, et qui vont survivre grâce à l’inventivité des médecins de l’hôpital Blegdam et au dévouement de toutes et tous.

Infirmières dédiées, personnel plus nombreux, anesthésie générale, ventilation artificielle, mais aussi kinésithérapie au lit, surveillance des gaz du sang artériel, etc… Les soins intensifs modernes naissent au cours de ces semaines de 1952, à Copenhague. Je pourrais parler encore de la mise en place des programmes de réadaptation, du développement des vaccins, mais aussi de la prise en charge des séquelles handicapantes et de l’inclusion dans la société des personnes qui les portent. Ou rappeler que malgré ces avancés formidables, la mortalité de la poliomyélite bulbaire restait de 40%, ou que Vivi – avec d’autres – ne pourra jamais plus se passer de ventilation artificielle car elle restera paralysée en dessous des cervicales ; ou du syndrome post-poliomyélite qui vient reprendre quelques décennies plus tard l’autonomie que les patients avaient regagné de haute lutte. La poliomyélite n’a pas disparu. Le virus rode toujours, spectre guettant le défaut dans notre armure pour venir à nouveau hanter les cours d’école et les aires de jeux.
L’inventivité que les médecins de l’hôpital Blegdam ont dû déployer pour faire face à la déferlante des cas de poliomyélite ne peut que faire écho à ce que nous avons vécu 70 ans plus tard avec la pandémie à SARS-CoV-2. Dans son article du Lancet, H Lassen dit d’ailleurs en introduction qu’ils étaient en « état de guerre ». Au fil des pages du livre de Hannah Wunsch, on voit s’assembler les briques qui mèneront aux soins intensifs et réanimations actuels. Certains éléments existaient déjà, encore fallait-il penser à les assembler les uns avec les autres, à une époque où la diffusion des connaissances et des articles médicaux étaient bien plus lente qu’aujourd’hui. Il a fallu improviser et inventer des choses totalement nouvelles. On lit aussi les échecs, les petits trahisons ou les grandes rancœurs. Lassen et Ibsen resteront en froid toute leur vie, notamment parce que Lassen se créditera comme seul auteur des papiers sur la prise en charge de l’épidémie de 1952.
La lecture de ce livre est passionnante et fascinante. Chaque page est richement documentée, chaque élément expliqué et accessible. Au-delà de l’histoire de la médecine, c’est une plongée dans la réalité d’une maladie que nous ne connaissons plus. Si vous lisez l’anglais, je ne peux que vous encourager à vous lancer dans cette lecture, même si vous n’êtes pas médecin.
Bonjour,
Voir la chose d’un autre côté : Némésis de Philip Roth.
Avoir vécu une époque où la vie a tant changé tend à faire oublier ce qu’elle a été et, peut-être, ce qu’elle pourrait redevenir à certains égards.
NP
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Résumé instructif bien écrit et émouvant, mais je crains que le livre soit trop bouleversant pour moi.
Un rappel pour nos « contrarians » et contestataires systématiques que les soignants dont les médecins sont essentiellement dévoués aux malades et blessés.
Et que déjà bien sûr les conduites mandarinales malhonnêtes existaient.
Bien que plus vieux que vous je n’ai heureusement jamais entendu l’insulte
« polio ».
Insulte remplacée tristement de nos jours par gogol, mongolien, autiste.
Par contre je réalise que l’insulte
« spastic » qui m’interloquait lors de mon année scolaire en Angleterre en 1967, c’était ça.
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